Carte blanche : L’appel des pauvres et des précaires face au coronavirus (collectif)

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Carte blanche | Bruxelles, 19 mars 2020 | Nous comprenons et appliquons la consigne. Il faut rester chez soi. Mais notre 35 m² peine à accueillir les 6 personnes qui y vivent. Nous entendons les inquiétudes, légitimes, exprimées par les indépendants, les PME, les entreprises, et nous observons les premières réponses données par nos gouvernants, notamment en termes de budgets exceptionnels de soutien. Tout cela est aussi légitime que pertinent. Mais nous voudrions ne pas être oubliés cette fois-ci encore. Nous, les personnes âgées isolées, nous, les femmes qui subissons déjà de la violence conjugale même lorsque notre homme vit dehors, nous les détenus, nous les clients des banques alimentaires, nous les demandeurs d’asile, et nous, tous les ménages précaires et les familles monoparentales à 80 % assumées par nous, les femmes, nous, qui n’avons ni jardin ni salle de jeu pour les enfants dans notre maison.

« Nous avons peur ! »

Macron a déclaré la guerre sanitaire. Il l’a fait au nom de l’Europe et pas uniquement au nom de la France. Cela nous fait peur. Parce toutes les guerres ont toujours été payées par les classes populaires. Nous avons peur de devoir payer cette nouvelle guerre. Nos emplois sont précaires. Certains d’entre nous, comme les intérimaires, les travailleurs non déclarés par leurs patrons, certains intermittents du spectacle, avons des contrats d’un jour ou d’une semaine. Ce qui veut dire aujourd’hui « plus de contrat du tout ». Reconnaîtra-t-on aussi ce manque à gagner économique ? Nous parvenions à peine à maintenir la tête hors de l’eau. Allez-vous nous laisser nous noyer ? Lorsque notre Première ministre dit « prenez soin de vous et des autres », sommes-nous concernés ?

Des droits eux aussi confinés ?

Les urgences sociales risquent de prendre un caractère plus dramatique encore. Car la crise sanitaire va creuser la crise sociale. Nous sommes déjà dans une grande fragilité et, pour certains d’entre nous, dans la détresse. Livrés à nous-mêmes et sans ressources, nous ne savons pas comment nous allons faire si nous devions être privés des services élémentaires : droits de visite en prison, aides familiales, soins ou repas à domicile, restos du cœur, banques alimentaires… Quel tribunal – fermé – va reconnaître notre droit de garde d’enfants ? Quel CPAS – fermé – diligentera-t-il une enquête à domicile pour nous ouvrir le droit à l’aide sociale ? Nous sommes prêts à être confinés. Mais nos droits le seront-ils aussi ? Ce sera difficile dans nos petits logements mal équipés. Ce sera difficile pour la bonne âme qui nous héberge pour ceux d’entre nous qui n’ont pas de logement. Une fois de plus, nous, la classe populaire, risquons de payer le prix le plus fort. Nous ne luttons pas à armes égales.

« Ne nous oubliez pas ! »

Nous avons besoin de vous entendre, vous, nos gouvernants, sur notre petite condition, nous avons besoin de savoir qu’on peut compter sur vous. Nous demandons juste votre attention comme vous la portez déjà légitimement pour les indépendants, les PME, les entreprises, etc. Ou nous aviez-vous tellement oubliés dans notre misère que vous ne nous voyez plus durant cette crise sanitaire ?

Avec nos organisations sociales, les syndicats, les mutuelles, les services sociaux, les centrales d’aide à domicile…, nous vous appelons aujourd’hui à prendre des mesures exceptionnelles pour nous aussi. Nous avons de la volonté, de l’intelligence, du courage, de la créativité… Nous sommes capables de mettre en place toutes les synergies possibles. Nous pouvons surmonter ces moments difficiles, en renforçant même la solidarité et la cohésion de notre société. Mais pas sans moyens publics, sans messages clairs, sans soutien financier. Nous avons besoin que vous reconnaissiez que les travailleurs sociaux contribuent à la lutte contre le Covid-19 aux côtés des personnels de santé. Nous avons besoin que vous les protégiez, que vous leur octroyez la priorité pour placer leurs enfants dans les écoles, que vous reconnaissiez que leurs prestations par téléphone valent une prestation physique comme vous venez de le faire pour les médecins. Nous avons besoin d’aide financière pour remplacer l’aide alimentaire qui n’arrive plus. Nous avons besoin que nos droits sociaux soient reconnus même si nous n’avons pas été autorisés à aller signer des papiers au CPAS ou à la Mutuelle. Nous avons besoin de chèques énergie pour nous chauffer la journée si nous restons chez nous. Nous avons besoin de vigilance parce que, dans les petites maisons, la pression va monter et nous allons subir plus encore de violences domestiques… Nous avons besoin de vous.

Signataires :

Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des Services sociaux ; Christophe Cocu, directeur général de la Ligue des familles ; Laurent Demoulin, directeur de Diogènes, travail de rue ; Nicolas De Kuyssche, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités ; Bertrand Desplanque, coordinateur de La Pièce, ASBL L’Equipe ; Luc Detavernier, administrateur-délégué de la Plate-forme bruxelloise de Joris Fakroune, secrétaire général du Conseil de la Jeunesse Catholique ; Stéphane Heymans, président du Samu social et directeur des opérations de Médecins du Monde ; Eric Husson, coordination bas-seuil ; Murat Karacaoglu, directeur de Pierre d’Angle ; Denis Lambert, militant associatif ; Stéphane Leclercq, directeur de la FEDITOxicomanie Bruxelles ; Nicolas Leonardy et Laurence Theizen, directeurs de la MASS ; François Poncin, coordinateur général du Réseau Hépatite C ; Yahyâ H. Samii, directeur de la Ligue Bruxelloise pour la Santé Mentale ; Pierre Schoemann, directeur de Lama ; Pierre Verbeeren, ex-directeur général de Médecins du Monde ; Concertation pour la Santé Mentale.

Carte blanche également publiée par Le Soir : Carte blanche: «L’appel des pauvres et des précaires face au coronavirus» (19/03/2020)

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