Pour une réglementation du cannabis en Belgique

1. Avant-propos

En 2014, la FEDITO BXL asbl a publié un premier positionnement appelant à une régulation du cannabis. Déjà – et depuis longtemps – elle faisait le constat qu’en matière de santé publique, la prohibition du cannabis et la relative politique de tolérance menée en Belgique à son encontre ne semblait avoir que peu d’impact sur les prévalences de consommation et sur l’ampleur du marché noir.

Six ans plus tard, le constat est identique : les prévalences de consommation sont toujours aussi importantes (voire plus élevées), l’illégalité de la production et de la vente empêchent toujours tout contrôle sur les produits en circulation et laisse plus que jamais le champ libre aux réseaux criminels qui s’enrichissent chaque jour.

Les risques liés à la consommation de cannabis sont donc, en réalité, toujours décuplés par la prohibition du cannabis, dont la relative politique de tolérance ne contrecarre pas grandement les inconvénients.

Il ne fait pas plus de doute que la loi drogues promulguée le 24 février 1921 est désuète et inadaptée pour répondre aux besoins et aux enjeux sociosanitaires dont il est question ici. Loin d’être appliquée et applicable, cette loi est bafouée au quotidien par des dizaines de milliers de citoyens belges qui achètent, consomment, cultivent parfois du cannabis hors de tout cadre légal et, la plupart du temps, sans être inquiétés par la justice.

Quand la norme s’estompe, c’est qu’il est temps de la changer.

Depuis la publication de son précédent rapport, de nouveaux éléments sont aujourd’hui à prendre en compte :

  • Avec son autorisation de mise sur le marché du Sativex en 2015, la Belgique a rejoint les pays dont la législation reconnaît et permet l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques. Reste que les conditions d’accès sont très strictes et sont encore loin de répondre aux attentes et aux besoins de nombreuses personnes malades qui, dès lors, continuent de s’approvisionner au marché noir et d’utiliser des produits non contrôlés.

  • Plusieurs citoyennes belges et associations se sont récemment retrouvées devant la justice pour avoir participé à l’organisation de Cannabis Social Clubs et les avoir soutenus. Ces personnes et associations ont été sévèrement condamnées pour avoir, en toute transparence, et dans une démarche militante, cherché à sortir le cannabis des réseaux criminels dans une perspective non marchande et responsable.

  • Depuis 2018, profitant d’une zone grise juridique, de nombreuses boutiques proposant des produits à base de cannabidiol (CBD) se sont ouvertes un peu partout en Belgique. Le SPF Finances a pris la décision d’assimiler (et de taxer) le CBD à un « produit du tabac à fumer », rendant cette substance plus chère que le cannabis en vente au marché noir. Par conséquent, de nombreux CBD shops ont dû fermer, et une partie de ce commerce s’est déplacée vers des magasins non spécialisés (librairies, night shops, etc.).

  • Au niveau international, plusieurs États ont décidé de sortir du paradigme de la prohibition et de reprendre le contrôle sur le commerce du cannabis (comme au Canada, en Uruguay et dans plusieurs États américains). Bon nombre sont également en passe de le faire (entre autres le Luxembourg, le Mexique, l’Afrique du Sud et plusieurs États des Caraïbes). Les Pays-Bas entendent expérimenter, dans le cadre d’un projet-pilote, un processus de production légale du cannabis dans plusieurs municipalités, afin d’approvisionner légalement les coffee shops (qui jusqu’à maintenant s’approvisionnent encore au marché noir !). La Suisse s’apprête à mener des expérimentations de plusieurs modèles de régulation dans différentes villes. D’autres évolutions, dans un sens ou dans l’autre, sont visibles en Europe et ailleurs.

  • En Belgique, un Bureau du Cannabis devrait bientôt être constitué, rattaché à l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), dont le rôle sera d’encadrer la production de cannabis à usage thérapeutique et/ou scientifique.

Notre positionnement actuel se place dans la continuité de la publication du texte cosigné par les professeurs Tom Decorte (UGent), Paul De Grauwe (London School of Economics et KULeuven) et Jan Tytgat (KULeuven) : « Cannabis : bis ? Plaidoyer pour une évaluation critique de la politique belge en matière de cannabis ». Ce texte, rédigé en 2013, appelle à reconnaître l’inefficacité de la politique actuelle en matière de cannabis et la nécessité de son évaluation critique.

Il est grand temps de sortir du statu quo, de reprendre le contrôle et de réguler le marché du cannabis. La politique menée à son égard est non seulement incohérente en regard de celles qui sont menées en matière d’alcool ou de médications pharmaceutiques, mais elle est aussi coûteuse, contre-productive, et en porte-à-faux avec les aspirations d’une partie importante de la population.

Diverses expériences menées à l’étranger tendent à démontrer la viabilité, et surtout la pertinence et les bénéfices – sanitaires, économiques et sociaux – de la réglementation du cannabis. Ces expérimentations ont l’avantage d’ouvrir des perspectives de solutions réformatrices et pragmatiques à la problématique du cannabis.

La FEDITO BXL propose aux autorités belges de s’en inspirer, et les y aide en pointant les principes fondateurs d’une éventuelle réglementation du cannabis en Belgique : au-delà de règles claires distinguant qui est autorisé à consommer du cannabis et qui ne l’est pas, il s’agit d’organiser et de contrôler une filière de production et de vente, en faisant appel à des expertises diverses et en construisant le modèle de réglementation sur les études de prévalence et l’expérience des professionnels de terrain.

Non moins important : il nous paraît également essentiel que l’État soutienne, davantage qu’il ne le fait aujourd’hui, les messages et actions de prévention, de réduction des risques et d’aide à destination de l’ensemble de la population et en particulier vers les consommatrices et les groupes plus vulnérables. Aujourd’hui en effet, l’interdit entretient un tabou qui complique l’accès à l’aide et pèse parfois lourdement sur le parcours de certaines personnes, renforçant les problématiques et l’exclusion sociale.

Mais il est également question de justice sociale lorsqu’on parle de prohibition et de régulation du cannabis. Comme souvent, ce sont les personnes les plus vulnérables ou défavorisées socialement et économiquement qui sont les premières victimes de ce système. Elles sont en effet largement surreprésentées dans les affaires traitées par la justice, mais également en termes de consommations problématiques. La loi n’est pas toujours favorable à l’égalité des chances.

Aujourd’hui, le constat de l’inefficacité de la prohibition du cannabis est sans appel, et d’autres voies doivent être explorées.

NOTE : Afin d’éviter certaines lourdeurs liées à l’écriture inclusive, nous avons choisi d’utiliser alternativement les formes masculines et féminines. Nous espérons ainsi concilier égalité des genres et fluidité de lecture.
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