CARTE-BLANCHE | L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) s’apprête à annoncer une nouvelle hausse des overdoses mortelles liée à l’usage d’opioïdes. Cette hausse est désormais continue depuis 2013. Les craintes d’une crise d’overdoses en Europe, sont désormais fondées. Mais les réponses, notamment en Belgique, sont encore trop parcellaires.
Le 23 juin 2017, une alerte était lancée simultanément en Belgique, en France, et en Suisse. Et Modus Vivendi, fer de lance de la réduction des risques liés à l’usage de drogues en Belgique, déployait dès l’été un plan overdoses. Les spécialistes notaient avec crainte l’augmentation constante des overdoses mortelles en Europe, de 2013 à 2015. Ils craignaient, surtout, l’importation en Europe d’une crise qui ravage déjà le continent nord-américain.
500 000 morts en 10 ans
Aux États-Unis et au Canada, on dénombre chaque année des dizaines de milliers de morts : aux alentours de 80 000 en 2015, 500 000 en 10 ans, soit quatre fois plus que les décès causés par les accidents de la route. Lorsque l’homme blanc meurt par accident, c’est désormais prioritairement dû à une overdose. Mais toutes les communautés et toutes les strates sociales sont touchées… Des régions sont ravagées… Et l’espérance de vie globale a commencé à baisser.
En Amérique, deux phénomènes ont joué : depuis les années 90, l’industrie pharmaceutique a fortement alimenté le marché d’anti-douleurs opioïdes, avec les problèmes de dépendance associés. Lorsque davantage de contrôles ont été mis en place, les personnes dépendantes ont été amenées à s’approvisionner en opioïdes de rue, tels que l’héroïne. Mais au même moment, débarquaient aux États-Unis une héroïne très pure en provenance du Mexique, et surtout, de puissants opioïdes de synthèse provenant de Chine, comme les fentanyls.
Les fentanyls, nous les connaissons tous, car ils ont été la cause des morts de Prince, Tom Petty, ou encore de la chanteuse des Cranberries, Dolores O’Riordan. Ces fentanyls sont déjà présents en Belgique : en l’espèce, on se fiera bien plus aux témoignages d’usagers et de professionnels de la santé, qui rapportent ces usages, qu’aux chiffres des overdoses, notoirement sous-évaluées en Belgique.
L’année dernière, déjà, nous écrivions ceci : « Si l’Europe est jusqu’ici beaucoup moins touchée par ces développements, notre responsabilité est de nous préparer à de tels changements. Car il existe aussi certains signes en Europe qui nous interpellent. En France, en Belgique et en Suisse, des professionnels intervenant auprès des personnes qui consomment des drogues rapportent une hausse des overdoses. Le dernier rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) souligne lui aussi que les morts par overdoses ont augmenté trois ans de suite, pour atteindre 7 585 décès en 2015, un chiffre probablement sous-évalué. En parallèle, on rapporte certains mésusages de médicaments utilisés pour les traitements de substitution et la présence sur le marché noir dans certains pays de Fentanyls, de très puissants opioïdes, en provenance de Chine. »
Mais que fait la Belgique ?
Dans les années 90, la Belgique s’est dotée opportunément des traitements de substitution. C’était d’ailleurs avant tout la volonté d’acteurs de terrain et de médecins, qui durent s’opposer aux autorités et à l’Ordre des Médecins, quitte à ce que certains soient condamnés… Depuis lors, il est relativement aisé d’initier un traitement de substitution avec de la méthadone ou de la buprénorphine. Mais depuis lors… rien d’autre.
Rien d’autre ! Ni élargissement des traitements de substitution à la diacétylmorphine, ni délivrance libre de l’antidote aux overdoses opiacées (naloxone), ni mise en place de dispositifs d’accueil comme les salles de consommation à moindre risque.
On sait que certains usagers n’ont pas une compliance suffisante aux traitements de substitutions « classiques » (à la méthadone et à la buprénorphine) : pour eux, la solution existe et s’appelle diacétylmorphine. Elle est utilisée depuis plus d’une génération dans certains pays, comme en Suisse. Son usage a été évalué positivement dans le cadre d’un projet-pilote à Liège, jusqu’en 2013 : on est dans l’evidence-based ! Le coût de son ajout à la pharmacopée pourrait être modique, puisqu’il suffirait d’équiper certains centres déjà médicalisés. Mais, de la part des autorités, il n’y a eu aucun suivi du dossier.
On sait aussi qu’il existe un antidote aux overdoses opiacées : la naloxone, disponible en Belgique, mais seulement sous forme d’injection, sous prescription et sans être remboursée. Elle existe sous spray nasal, mais notre pays n’a, à ce jour, pris aucune initiative pour en assurer sa délivrance libre. Dans l’attente, on ne peut que pousser les médecins rencontrant des personnes à risque (en l’occurrence, tout usager de drogues) de prescrire cet antidote, et qu’espérer que le patient réunira les euros nécessaires pour acheter et porter toujours avec lui, la dose qui pourra lui sauver sa vie ou celle d’un proche.
Les salles de consommation à moindre risque, enfin, ont été jugées « non prioritaires » par le gouvernement fédéral. Il s’agit pourtant d’un dispositif médico-social encadré par des professionnels et ayant fait ses preuves de par le monde. Imaginez, elles existent depuis plus de trente ans et dans tous les pays limitrophes de la Belgique. On n’y a jamais dénombré un décès ! Et pourtant, si le projet liégeois de salle de consommation à moindre risque voit effectivement le jour, ce sera sans le soutien du gouvernement fédéral.
La crise guette, mais la Belgique se cramponne à un régime d’avant-guerre
La Belgique se cramponne à une loi drogues qui date de 1921, écrite il y a près de cent ans, et plus du tout en phase avec les besoins actuels.
Les craintes croissent. Certains se croisent les bras.
D’autres meurent. Plus nombreux qu’hier. Moins que demain…
La crise guette.
Sébastien Alexandre, Directeur FEDITO BXL asbl