La Commission globale de politique en matière de drogues (Global Commission on Drug Policy) vient de publier son neuvième rapport intitulé La classification des substances psychoactives : lorsque la science n’est pas écoutée.
Dans ce rapport, la Commission explique comment la classification historique des substances psychoactives, biaisée, a contribué à amplifier le « problème mondial de la drogue ». Il s’agit du tout premier rapport exhaustif offrant une lecture politique de l’évaluation et de la classification actuelles des drogues en fonction de leurs méfaits.
La communauté internationale doit reconnaître le caractère incohérent et contradictoire du système international de classification, et entreprendre la révision critique des modèles actuels de classification des drogues.
En effet, les substances psychoactives devraient être classées en fonction de leur potentiel de dépendance et d’autres dommages. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui, où certaines substances sont légalement disponibles parce qu’elles sont considérées comme bénéfiques (médicaments) ou culturellement importantes (alcool), tandis que d’autres sont considérées comme destructives et strictement interdites. La classification des drogues est au cœur du système international de contrôle des drogues. En tant que tels, les gouvernements devraient veiller à ce qu’une telle classification soit pragmatique et fondée sur des données scientifiques et factuelles, puisse établir clairement les avantages et les inconvénients des substances et permette la mise en place de modèles de réglementation légaux responsables.
Avant propos
Un catalogue de près de 300 substances psychoactives, réparties en catégories selon la rigueur avec laquelle elles doivent être combattues, sert de fondement aux politiques actuelles en matière de drogues, internationales et nationales. ces substances sont soumises à une longue liste d’interdits : interdiction de les cultiver, de les produire, de les fabriquer, de les exporter, de les importer, de les distribuer, de les commercialiser, de les posséder et de les consommer, obligation de les limiter exclusivement à des usages scientifiques et médicaux. certaines, d’ailleurs, se voient nier, sans la moindre preuve, toute utilité médicale.
En ratifiant les conventions des nations unies qui installent progressivement, de 1961 à 1988, le régime international de contrôle des drogues, les états se sont engagés à introduire la même classification dans leur législation nationale. c’est dire qu’elle détermine les actions des polices et les sentences des juges, qu’elle change le cours de la vie de millions de personnes.
C’est en effet sur cette pierre angulaire que reposent la politique répressive à l’origine des « dommages collatéraux » de la « guerre à la drogue », des conséquences dramatiques que la commission globale de politique en matière de drogues dénonce depuis sa création en 2011. Les effets en termes de santé publique et de sécurité, de discrimination et de surpopulation carcérale, de montée en puissance du crime organisé avec leurs corollaires de violences et de corruption ainsi que de privation de médicaments essentiels, démontrent la nécessité et l’urgence de changer de cap et de mettre en place des politiques plus efficaces et plus respectueuses des droits humains.
Ce neuvième rapport de la commission analyse l’histoire, les procédures et les incohérences de la classification des substances psychoactives. Inutile d’y chercher certaines des plus dangereuses – le tabac, l’alcool – qui échappent ainsi à la prohibition et apportent d’immenses profits à des entreprises qui ont pignon sur rue. Celles qui y figurent, qualifiées de drogues, sont considérées comme malfaisantes et alimentent un marché noir tout aussi lucratif pour les organisations criminelles. La division stricte entre substances légales et substances illégales est le fruit d’une longue histoire de domination culturelle et politique et non d’une évaluation scientifique des risques qu’ils font courir aux personnes qui les consomment et à la société dans son ensemble, ni du bien-être qu’en peuvent retirer celles et ceux qui en font un usage raisonnable. La même absence de base scientifique doit être constatée dans la classification des drogues, leur hiérarchie selon le degré de dangerosité. elles sont considérées, globalement, comme un fléau ! La classification est trop souvent tributaire de l’idéologie, des préjugés et de la discrimination de groupes de population marginalisée, voire des intérêts financiers de l’industrie pharmaceutique. La science est bien peu présente dans ce processus de décision et lorsqu’elle l’est et qu’elle présente ses conclusions, elle est peu écoutée!
Il y a urgence à évaluer de façon rationnelle les substances psychoactives. L’incohérence de la classification actuelle fait obstacle aux nécessaires réformes. Il est grand temps d’accepter le fait qu’une société sans drogue est une illusion et de créer les bases scientifiques de la régulation légale de leurs marchés, en revenant à l’essentiel : la vie, la santé, la sécurité de tous.
Ruth Dreifuss
Présidente de la commission globale de politique en matière de drogues
Recommandations
La communauté internationale doit reconnaître le caractère incohérent et contradictoire du système international de classification, et entreprendre la révision critique des modèles actuels de classification des drogues.
Les effets négatifs de l’actuelle classification internationale pour le contrôle des drogues ne peuvent être ignorés plus longtemps ; ils vont de la pénurie de médicaments essentiels dans les pays à revenu faible et intermédiaire à la propagation de maladies infectieuses et de préjudices physiques, en passant par l’accroissement de la mortalité et la crise mondiale de la surpopulation carcérale. La communauté internationale doit s’attaquer à ces problèmes et corriger les conséquences négatives des classifications actuelles.
La communauté internationale doit accorder un rôle de premier plan à l’Organisation Mondiale de la Santé et à la recherche scientifique interdisciplinaire dans l’élaboration de critères de classification fondés sur des données scientifiquement établies et sur une échelle rationnelle des risques et des bénéfices.
Les États doivent aussi résoudre le problème de la distinction de plus en plus floue entre drogues et marchés légaux et illégaux, en réclamant davantage de flexibilité des mécanismes internationaux dans l’adoption de règles et directives différentes pour la classification au niveau national. Ce processus dépend du rééquilibrage du rôle des intervenants dans la conception de modèles de classification pour faire plus de place aux professionnels des sciences, de la santé et de l’action sociale. Ce processus devra aussi permettre de lever les barrières qui entravent actuellement la recherche scientifique sur les utilisations médicales essentielles de ces substances.
Les états-membres de l’ONU doivent recentrer le système international de classification sur l’intention première de contrôle du trafic international et permettre l’élaboration de classifications nationales innovantes.
Les restrictions de marché imposées aux substances clairement plus douces, moins nocives et moins puissantes doivent être assouplies, et notamment la notion d’usage « à d’autres fins légitimes » non médicales ni scientifiques, ouvrant la voie dans les lois nationales à l’autorisation des usages traditionnels, religieux, sociaux ou à des fins de développement personnel.