Il était une fois la prison de Saint-Gilles…

Carte blanche | Depuis mi-juin 2019, à la suite d’un accord passé entre la direction des prisons de Bruxelles et les syndicats des agents pénitentiaires, les services externes ont très peu accès aux détenus de la prison de Saint-Gilles. Depuis ce moment, les professionnels de la santé et du social se voient refuser l’entrée pour cause de manque de personnel. Pourtant, le travail de ces acteurs est indispensable à la réinsertion des détenus.

La prison de Saint Gilles est, désormais en tant que maison d’arrêt, le triste symbole d’un système pénal engorgé, dysfonctionnel et de fait contre-productif en termes de lutte contre la récidive.

Le système carcéral belge, en ce compris cet établissement, est régulièrement condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en raison des conditions de détention inacceptables, constitutives de traitements inhumains et dégradants. Grâce aux décisions judiciaires obtenues par Avocats.be, les juridictions belges ont également établi la responsabilité de l’Etat belge dans cet état de fait et l’ont enjoint à remédier à la surpopulation carcérale endémique dans notre pays. Les rapports de l’Observatoire International des Prisons et de la Commission de Surveillance de Saint-Gilles posent les mêmes constats : les conditions de détention sont déplorables et contraires aux droits fondamentaux des détenus, ce qui impacte également le travail du personnel pénitentiaire.

Un rôle essentiel

Dans ce contexte carcéral déplorable, la mission des services externes est de soutenir la personne durant son incarcération, de lui offrir de l’aide dans l’immédiat ou pour préparer sa sortie et sa réinsertion. Ce sont des interlocuteurs externes et bienveillants, participant activement à diminuer les tensions, en redonnant une place à l’humain, un espace de parole et en proposant des démarches concrètes face aux problèmes psycho-sociaux, judiciaires et/ou administratifs. Les interventions auprès des détenus réduisent les risques de conflits inhérents à l’institution carcérale et contribuent à limiter les risques de passages à l’acte violents contre la personne elle-même ou à l’encontre du personnel. Ses membres sont formés pour informer, accompagner, donner accès aux droits sociaux, renouer des liens, des espoirs pour éviter la chute ou la rechute. Ce rôle est essentiel en prison et doit trouver sa place au sein d’une institution censée écarter provisoirement des hommes et des femmes de la société, puis de les réinsérer.

Dès lors, qu’est-ce qui explique cette volonté de mise à l’écart de ces services externes ? Le déficit de personnel parmi les agents pénitentiaires… La gestion des ressources humaines et de la planification du travail de ces derniers pose question : en période estivale, la concentration des congés fait peser sur les équipes présentes une surcharge de travail. Dans un tel contexte les certificats médicaux pleuvent. Ajouté à cela une proportion de 40% de stagiaires sur l’effectif total… De quoi fragiliser toujours plus et sans grande surprise le fonctionnement d’un établissement dont le taux de surpopulation atteint les 154%, pour un turnover de 4300 détenus chaque année.

Effets délétères

Depuis quelques semaines, alors que certains délégués syndicaux menaçaient d’un mouvement de grève, la direction a « négocié » plusieurs accords avec ces derniers, parmi lesquels celui de limiter l’accès des services psycho-sociaux externes. C’est le cas pour chaque période estivale puisque la prison tourne au ralenti, mais cette fois-ci, c’est une mesure officielle avec des effets délétères sur la qualité et sur la fréquence des interventions. Tous les travailleurs, internes ou externes, savent que la prison de Saint Gilles est une cour des miracles, un miroir grossissant des détresses sociales et psychologiques de notre société. C’est aussi la prison bruxelloise dans laquelle l’accès aux services d’aide est le plus précaire. Or, à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’accès à la prison est limité depuis plus de 90 jours. Seuls 5 professionnels à la fois ont accès aux détenus, ce qui est bien en deçà des besoins des personnes qui nous sollicitent. Le service psycho-social interne à la prison a été de nombreuses fois fermé, faute d’agents pour assurer son fonctionnement.

Force est de constater que les solutions et les positions se radicalisent dans un système qui voudrait que chacun se fasse la caricature de lui-même : les premiers sont des sous-hommes, d’autres des portes clefs, d’autres encore les inutiles de service. Nous dénonçons et refusons ce scénario. Confrontés à une situation chaotique, nous exprimons notre solidarité tant aux agents qu’aux détenus.

Ne pas accepter l’indigne

Il est clair que la fonction des services externes ne peut consister à accepter l’indigne, à la faire accepter par les bénéficiaires. Nous constatons l’échec cuisant des politiques carcérales sans prétendre avoir une solution toute faite pour un meilleur respect du pacte social. Mais nous prenons le parti de l’humain, dans l’intérêt de la société. Nous souhaitons être les garants des conditions dignes et justes pour chacun : détenus, travailleurs internes ou externes.

Dans le contexte actuel il convient au moins de faire enfin exister l’aide aux justiciables aux côtés du coercitif, surpuissant autant qu’inefficace, dans un modèle où ces deux aspects pourraient tenter de donner du sens à une mise à l’écart de la société, pour peu que cela soit possible.

Ce qui est fondamental, c’est de permettre aux services externes de continuer à travailler, cela sans omettre toute l’importance de penser à d’autres paradigmes.

Nous revendiquons un changement de regard sur les actions (interventions psycho-sociale et pédagogique) menées par l’ensemble des associations membres de la Fidex et nous affirmons que ni les détenus ni les intervenants psycho-sociaux ni le personnel pénitentiaire n’ont à subir des décisions prises à la hâte face à des problèmes prévisibles et récurrents.

Le renforcement de la reconnaissance par le pouvoir fédéral des missions d’aide aux détenus et aux justiciables déférées aux services externes sont, à cet égard, indispensables. Cela passe, notamment, par la remise en cause des accords qui empêchent les services concernés de faire leur travail. Une offre sérieuse et la présence obligatoire d’activités de formation, d’éducation et d’orientation professionnelle doit être mise en place dans chaque établissement pénitentiaire. A Saint-Gilles comme ailleurs. Il y a urgence…

Signataires

  • Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex détenus (FIDEX)
  • Ligue des Droits Humains (LDH)
  • Observatoire International des Prisons – section belge (OIP)
  • Fédération bruxelloise des Institutions pour Toxicomanes asbl (FEDITO Bruxelles)
  • Concertation des Associations Actives en Prison (CAAP)
  • Fédération des Services Sociaux (FDSS)
Cette carte blanche a également été publiée, le 18 septembre 2019, par La Libre sous le titre Il faut, d’urgence, permettre aux services psycho-sociaux externes de travailler en prison. A Saint-Gilles comme ailleurs…