Rapport d’information sur l’évaluation générale des résultats effectifs de la «loi sur les drogues» du 24 février 1921 quant à l’efficience des politiques en matière de drogues et plus particulièrement en matière de cannabis

La Commission des affaires transversales du Sénat vient de publier son Rapport d’information sur l’évaluation générale des résultats effectifs de la «loi sur les drogues» du 24 février 1921 quant à l’efficience des politiques en matière de drogues et plus particulièrement en matière de cannabis.

Ce rapport a ensuite été présenté et approuvé en séance plénière du Sénat du 19 avril 2024.

Extraits

La réglementation belge fait l’objet de critiques tant sous son aspect formel en tant qu’elle présente une architecture relativement complexe puisqu’il faut jongler avec plusieurs instruments: une loi, des arrêtés royaux, des directives de politique criminelle et des circulaires du Collège des procureurs généraux.

L’enchevêtrement est devenu tel que, dans une circulaire no 15/2015 commune du ministre de la Justice et du Collège des procureurs généraux, il est indiqué que «la construction relativement complexe ayant abouti à la situation actuelle rend les textes illisibles».

Elle est également attaquée sous son aspect substantiel. Une loi doit être claire et prévisible pour assurer la sécurité juridique. Quand un citoyen adopte un comportement, il doit savoir s’il est susceptible d’entraîner des sanctions pénales. Cet aspect est extrêmement important, car le droit pénal peut aller jusqu’à priver une personne de sa liberté.

Pour de nombreux experts, le principe de légalité est ainsi mis à mal en ce qui concerne le manque de lisibilité et d’accessibilité de la réglementation sur les drogues illicites.

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Il faut également pointer le manque de transparence attaché à ces instruments, certains d’entre eux étant publiés au Moniteur belge, d’autres non et certains étant accessibles sur le site internet du ministère public, tandis que d’autres sont classés confidentiels.

Bref, cette insécurité juridique constitue un véritable problème tant pour les citoyens que pour les acteurs de terrain.

Ensuite, la politique en matière de drogues illicites ne rencontre pas tous les objectifs poursuivis. Certains experts pointent le fait que la politique en matière de drogues illicites est axée sur la lutte contre la grande criminalité et contre le trafic de drogues. Cependant, dans la pratique la majorité des interpellations policières en Belgique (cette tendance se vérifie aussi au niveau européen voir chiffres de l’OEDT) concernent des faits de détention, et plus particulièrement de cannabis.

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Les conclusions mettent encore en avant le fait que bien qu’il existe aujourd’hui de nombreuses études internationales sur l’offre et la demande de drogues, ces informations ne sont cependant pas ou pas suffisamment exploitées dans la détermination de nos politiques.

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Le coût économique du système répressif

Loin d’assécher les réseaux criminels et de réduire les risques pour les consommateurs, la politique très répressive menée depuis des décennies dans plusieurs pays coûte cher et n’a produit que de maigres résultats (25). Selon l’économiste Paul De Grauwe, il en résulte un étrange paradoxe: plus on agit de manière répressive, plus les profits des groupes criminels sont importants.

Le retour sur investissement pour la société s’avère donc décevant et force est de constater que l’on ne fait souvent que déplacer le problème. La tolérance zéro couplée à des moyens limités de la police et de la justice aboutit régulièrement à une approche sélective et stigmatisante de certains groupes notamment sur la base de facteurs économiques.

La politique antidrogue actuelle engendre même des problèmes supplémentaires, car l’illégalité entraîne criminalité et nuisances.

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En Belgique, les résultats des études épidémiologiques effectuées par la Santé publique et corroborés par les chiffres de la police, révèlent que le cannabis domine le marché de la drogue. À l’heure actuelle, et malgré la progression de certains produits comme la cocaïne dans certaines villes, aucun signal ne laisse présager que la situation viendrait à changer à court ou à moyen terme.

On observe également une hausse de la verbalisation dont la majorité des faits portent principalement sur la détention et le commerce de stupéfiants: en 2012, un peu plus de quarante mille faits ont été verbalisés, contre plus de soixante mille en 2019 et 2020. (…)

L’interdiction générale de la consommation de drogues laisse paradoxalement le champ libre aux organisations criminelles qui sont également capables de faire preuve d’une grande adaptabilité. Elles continueront à mettre tout en œuvre comme elles le font déjà, pour générer des profits extrêmement importants. (…)

Le trafic de cannabis entraîne des actes de violence dans les grandes villes, en particulier à Bruxelles.

Lois et circulaires, une insécurité juridique

(…) Les lois permettent aux citoyens de savoir ce qui est autorisé ou interdit tandis que les circulaires sont des directives que le procureur du Roi est libre de suivre ou non. Il peut ainsi décider de l’opportunité des poursuites et peut traduire une personne devant le tribunal.

La politique des poursuites du ministère public constitue donc une insécurité juridique. Concrètement, les conséquences liées à culture de plants de cannabis ne feront pas l’objet du même traitement à Arlon ou à Bruxelles.

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Le lien entre les drogues légales et la nocivité pour la santé publique est donc totalement absent et les études scientifiques montrent que 85 % des consommateurs de drogues illégales ne sont pas des consommateurs problématiques.

L’équilibre entre répression et prévention?

L’approche ne doit pas être unique en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants. Il faut une politique répressive, mais il faut également une approche de prévention et de santé publique. Or, la consommation de cannabis, à l’inverse de ce qu’elle devrait être, est considérée davantage comme un problème de criminalité que comme un problème de santé. (…)

Cependant, on ne résout pas un problème de santé par une interdiction.

Il y a lieu d’émettre de sérieux doutes quant à l’efficacité du système pénal pour répondre à un problème de santé publique. Le système pénal actuel stigmatise le consommateur pour l’usage de ces substances.

(…)

Recommandations

Le Sénat recommande à l’autorité fédérale en concertation avec les entités fédérées:

  1.  de créer un terreau réglementaire et légal favorisant la conduite de recherches scientifique et cliniques sur le cannabis et plus particulièrement sur le cannabis thérapeutique;
  2. sans préjuger du modèle paradigmatique, de permettre l’émergence d’un nouveau cadre juridique qui favorise l’égalité des citoyens devant la loi, l’accessibilité et la prévisibilité de la loi ainsi qu’une harmonisation de la politique des poursuites;
  3. d’affiner la détection des surdoses non déclarées, ainsi que la qualification et la quantification par substance afin de satisfaire aux obligations de la Belgique d’alimenter le système d’alerte européen;
  4. de fixer un seuil minimal à partir duquel il peut être objectivement constaté qu’une personne ayant consommé du cannabis conduit sous influence et qu’une réponse pénale doit être apportée;
  5. d’adapter le cadre légal concernant la consommation thérapeutique et les résidus de THC détectables dans le cadre des professions réglementées et du domaine sportif;
  6. de poursuivre la répression des externalités négatives en matière de criminalité et de nuisances liées à la consommation de cannabis;
  7. de fournir aux personnes consommatrices et détentrices de cannabis à des fins d’usage individuel, et qui n’engendrent pas de trouble à la tranquillité ainsi qu’à l’ordre public, la possibilité d’éviter la sanction, qu’elle soit pénale ou administrative, en optant pour un accompagnement psycho-médico-social gratuit. Bien que toute consommation de cannabis peut causer des conséquences négatives en termes de santé, lorsqu’il s’avère qu’un tel suivi manque de pertinence, une information relative à la prévention et à la réduction des risques peut alors être proposée;
  8. de veiller à répercuter les moyens dégagés par l’absence de poursuites au moyen des mesures précitées, en dédiant prioritairement les ressources humaines, logistiques et financières à la lutte contre la criminalité et le démantèlement des réseaux de vente.

Documents


1 Comment

  1. Sans surprise la prohibition entretenue par du lobbying et des considérations politiques très éloignées de la santé publique et des droits individuels. Plus on réprime plus on éloigne les personnes du soin et d’une prise en charge précoce adaptée. L’interdit pour les usages de produits pousse les personnes concernés à cacher leurs pratiques, surtout dans le champs professionnel. Le cannabis est utilisé de façon responsable par de nombreux usagers, d’autres en ont un usage médicinal indispensable, et en tant que professionnel en csapa depuis 21 ans j’ai moi-même pu constater combien son usage raisonné aide un grand nombre de patients à stabiliser leurs autres addictions bien plus problématiques. Les posologies d’opiacés ou de benzodiazepines sont plus vite stabilisées, permettant aussi des réductions voire des arrêts d’autres consommations à risques. Pour finir, ici à Paris le crack est très présent ainsi que la cocaïne… et leur consommation est très compulsive, dans ce contexte l’usage du cannabis nous est souvent décrit comme permettant d’espacer plus facilement les prises. Là aussi il semble procurer une aide reelle pour stabiliser les consommations…
    Liste non exhaustive bien sur, et je n’ai pas abordé les risques que comporte l’usage régulier du produit, ils sont réels mais vraiment pas suffisant pour justifier son interdit…

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