Christophe Mincke, criminologue, directeur opérationnel criminologie à l’INCC (Institut national de criminalistique et de criminologie) : « La question de la drogue a toujours été mobilisée, depuis très longtemps, comme une des figures de l’insécurité. C’est une figure cyclique : on a la figure du terroriste, du pervers sexuel, celle du jeune dangereux… La question des drogues est une question qui est problématique, incontestablement, à plusieurs égards. Il y a des produits qui évoluent. Par exemple, le crack a modifié fondamentalement la consommation de produits dérivés de la coca. Entre la cocaïne et le crack, il y a de grosses différences en termes d’addiction, en termes de prix, etc. La baisse des prix sur le marché a été très importante et a donc favorisé le développement d’une consommation de crack qui est très intensive. Il y a une multiplication des labos de drogues de synthèse : la Belgique est une plaque tournante pour ça. On a de gros problèmes d’importation de stupéfiants, notamment via les grands ports comme Anvers. On peut voir ces constats à deux échelles : d’un point de vue global, c’est une énième preuve de l’échec total des politiques de prohibition. A plus petite échelle, la concentration de la consommation de produits stupéfiants dans les grandes villes est un classique. C’est compliqué de trouver du crack à Malmedy, beaucoup moins compliqué à Bruxelles ou à Liège. Donc en toute logique, les personnes qui ont des comportements problématiques par rapport à une consommation de drogue vont se diriger plutôt vers les grandes villes.
Par ailleurs, qu’est-ce que les gens désignent par « drogués » ? Est-ce que c’est vraiment des questions liées à la consommation de drogue ? Est-ce que c’est drogues et alcool ? Est-ce que c’est drogues, alcool et sans-abrisme ? Est-ce que c’est drogues, alcool, sans-abrisme et migrants complètement en perte de repères ? On a là des phénomènes qui sont très difficiles à caractériser et qui sont largement liés à des phénomènes de fragilisation sociale, avec des gens à la dérive.
(…)
Un élément de contexte essentiel : on n’est pas du tout dans une période de laxisme, c’est totalement faux. On n’a jamais autant réprimé qu’aujourd’hui. On est dans une période qui est extraordinairement répressive à tous les niveaux. C’est-à-dire que pour les infractions les plus graves, on réprime très, très fort : les prisons sont pleines, on a augmenté la capacité carcérale, on est toujours en surpopulation avec 12.000 prisonniers actuellement. Il y a 25 ans à peu près, on en avait 4.000 de moins. C’est gigantesque. On a développé plein de peines alternatives depuis 30 ans, qui tournent à plein régime : surveillance électronique, peines de travail… A côté de ça, on a créé des sanctions administratives communales, mais aussi des sanctions administratives régionales. Et ça, ça tourne aussi à fond. Ce qui veut dire que – tant pour des broutilles (brûlages d’ordures dans son jardin, du bruit…), que pour des faits plus graves (coups et blessures, violences sexuelles, etc.) – on est répressif sur toute la longueur. On peut discuter, on peut avoir l’option politique de dire qu’il faudrait « en faire encore plus ». Je n’ai pas de position, je ne suis pas politique. Mais dire « nous sommes dans une période de laxisme », rien n’est plus faux. (…) »
Lire l’interview : Christophe Mincke, spécialiste de la criminologie : « Rien n’est plus faux que dire qu’on est dans une époque de laxisme pénal » (Le Soir, 2/10/2024)