Pour une réglementation du cannabis en Belgique

3. Le cadre législatif en Belgique

Résumé : Les conventions internationales et les lois belges qui interdisent l’usage, l’achat, la vente et la circulation des drogues illicites sont multiples, complexes et répressives, et datent bien souvent d’une époque lointaine où les contextes de consommation n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. La loi de 1921, pilier du droit pénal belge en matière de drogues illégales, définit les types d’infractions relatives aux substances interdites et les peines leur correspondant. Une liste des substances prohibées, y compris le cannabis, est établie par l’arrêté royal de 2017. La circulaire des procureurs généraux de 2015 (révisée en 2018) oriente quant à elle l’interprétation que fera le ministère public de ce corpus légal. Parallèlement, le contexte législatif actuel autorise les produits à base de CBD contenant moins de 0,2% de THC et régit la délivrance de cannabis thérapeutique. La complexité et la multiplicité des textes, dont la portée varie, ainsi que l’usage de notions prêtant à interprétation, suscitent une insécurité juridique considérable. L’application et l’interprétation des textes juridiques peuvent en effet différer selon les représentantes de la police et de la justice, l’orientation politique d’une zone géographique.

Le cadre législatif général du cannabis

La loi du 24 février 1921

La loi du 24 février 1921 est le pilier du droit pénal belge en matière de drogues illégales. Elle définit les types d’infractions relatives aux substances interdites (celles-ci sont définies par le Roi) et les peines leur correspondant. Elle autorise le Roi à réglementer et surveiller l’importation, l’exportation, le transit, la fabrication, la conservation (c’est-à-dire le stockage dans les conditions requises), l’étiquetage, le transport, la détention, le courtage, la vente et l’offre en vente, la délivrance, la prescription et l’acquisition, à titre onéreux ou à titre gratuit, des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques ainsi que la culture des plantes dont ces substances peuvent être extraites. Il faut préciser que la consommation de drogues ne constitue pas une infraction pénale en Belgique, ce sont les comportements qui l’entourent, cités ci-dessus, qui sont visés.

Historiquement, l’intention du législateur visait à lutter contre le trafic et non la consommation. Ce n’est qu’au fil du temps que les priorités se sont inversées et que l’appareil judiciaire s’est d’avantage focalisé sur l’usage. Au début des années 2000, la loi de 1921 a toutefois connu plusieurs modifications visant à alléger les sanctions liées à la détention de cannabis pour usage personnel (par des personnes majeures uniquement).

La loi du 4 avril 2003 modifiant la loi de 1921

La loi du 4 avril 2003 apporte des changements à la loi de 1921 et autorise, par arrêté royal, la création de distinctions entre les drogues illicites. Les différentes catégories de drogues ainsi créées renvoient aux sanctions correspondantes prévues dans la loi de 1921. Le Roi peut ainsi permettre un traitement pénal spécifique des poursuites liées à la détention de cannabis1.

L’arrêté royal du 6 septembre 2017

L’arrêté royal du 6 septembre 2017 renvoie aux peines les plus légères de la loi de 1921 pour les infractions liées au cannabis « pour l’usage personnel » et prévoit toutefois des peines plus lourdes en cas de circonstances aggravantes, c’est-à-dire lorsque les infractions sont commises dans un établissement pénitentiaire, une institution de protection de la jeunesse ou un établissement scolaire, sur la voie publique ou en tout lieu accessible au public.

Cependant, la notion d’« usage personnel » de cannabis reste floue, selon le secteur spécialisé en assuétudes et l’avis du Conseil d’État2. Ni la loi, ni les arrêtés royaux ne se prononcent sur la quantité de cannabis qu’un individu peut détenir ; et ils définissent l’usage personnel comme « un critère intentionnel, comme un élément moral de l’infraction, par définition subjectif, mais inhérent à toute infraction pénale »2b. L’appréciation de la quantité de cannabis autorisée et de l’intention de l’usagère serait donc laissée à l’appréciation de l’appareil policier et judiciaire (police, procureur, etc.).

Plus encore, ce nouvel arrêté royal rend incertaine la tolérance quant à la culture d’un plant de cannabis femelle et la détention de trois grammes de cannabis maximum par individu3. En effet, d’une part, l’arrêté royal rappelle la loi de 1921 et réitère que « [n]ul ne peut importer, exporter, transporter, fabriquer, produire, détenir, vendre ou offrir en vente, fournir, délivrer ou acquérir, à titre onéreux ou à titre gratuit, des produits, sans autorisation d’activités préalablement accordée par le/la Ministre ou par son délégué pour le lieu où se déroulent les activités. » D’autre part, l’arrêté royal ajoute que « la culture de plants de cannabis, de plants de coca et de plants de l’espèce Papaver somniferum L. est interdite et ne peut être autorisée. ». Ainsi, d’après l’arrêté royal, la culture d’un plant femelle n’est dès lors pas autorisée (ce qui est nuancé par la circulaire des procureurs généraux, voir ci-après).

L’arrêté royal du 6 septembre 2017 autorise néanmoins la culture de variétés de cannabis pour un usage industriel, dont la somme des concentrations de THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) et de THCA (delta-9-acide tétrahydrocannabinolique) ne dépasse pas 0,2%. Si ce seuil est dépassé, la culture est jugée illégale et est passible de poursuite. Actuellement, seules les agricultrices sont susceptibles d’obtenir une autorisation de cultiver du chanvre textile ou pour d’autres buts industriels, en pleine terre. L’autorisation s’accompagne de contrôles sur l’origine des variétés et la teneur en THC (arrêté ministériel relatif à la culture de chanvre du 27 juillet 2011).

Interpellé le 18 octobre 2017 à la Chambre des représentants, le ministre de la Justice d’alors, M. Koen Geens, n’avait guère contribué à dissiper le brouillard de l’insécurité juridique, affirmant à la fois que la tolérance envers le cannabis était toujours d’actualité (celle-ci pouvant être suspendue en fonction d’impératifs locaux) et que le Gouvernement appliquait la politique de tolérance zéro dans l’espace public, conformément à l’accord de Gouvernement4.

Tableau 2 : Un recours auprès du Conseil d’État

Suite à la publication de l’arrêté royal de 2017, un recours en annulation au Conseil d’État a été introduit conjointement par les asbl FEDITO BXL, Infor-Drogues, Modus Vivendi et deux médecins. Les auteurs du recours ont soulevé dans un premier temps la non-consultation de la société civile spécialisée lors de l’élaboration de l’arrêté royal, ce qui va à l’encontre des engagements européens de la Belgique. Le recours porte sur plusieurs points d’incertitude, notamment le flou de la législation actuelle en matière de cannabis, qui entraîne une insécurité juridique. L’audience du Conseil d’État a eu lieu en mars 2020. Un premier arrêt en date du 9 octobre 2020 a été rendu mais la procédure est toujours pendante.

La circulaire des procureurs généraux du 21 décembre 2015 (révisée en 2018) 5

L’adoption de l’arrêté royal du 6 septembre 2017 abrogeant plusieurs arrêtés royaux6 a nécessité la révision de la circulaire des procureurs généraux du 21 décembre 2015 en 2018.

La circulaire révisée maintient globalement le système de tolérance vis-à-vis de la détention de moins de trois grammes de cannabis ou d’un plant femelle en ce compris la saisie systématique des substances illégales, quelle que soit l’infraction commise. De plus, elle distingue deux types d’infractions concernant la détention de cannabis : la détention-contravention et la détention-délit7. Les détentions-contraventions désignent des faits d’importation, fabrication, transport, acquisition, culture et détention de cannabis pour usage personnel et sans circonstances aggravantes. Les détentions-délits se rapportent aux mêmes faits pour usage personnel, sans circonstances aggravantes, mais qui portent atteinte à l’ordre public (voir encadré ci-dessous pour une définition).

Un procès-verbal simplifié est dressé pour :

  • Les détentions-contraventions par une personne majeure, de moins de trois grammes ou une plante de cannabis, sans indice de vente ni circonstance aggravante ;
  • Les détentions-délits pour une personne majeure, de moins de trois grammes ou une plante de cannabis, sans indice de vente et avec la seule circonstance que les faits ont été commis, sans ostentation, sur la voie publique ou en un lieu accessible au public.

Un procès-verbal simplifié, précisant notamment l’identité de l’auteure de l’infraction, est conservé sur support informatique au sein du service de police ayant mené le constat, et transmis au parquet une fois par mois. Il revient au procureur du Roi de décider de poursuivre ou non. Ces infractions constituent le degré le plus bas de la politique de poursuite. Toute autre infraction que celles-ci fera l’objet d’un procès-verbal ordinaire.

Selon la circulaire de 2018, es détentions-délits avec ou sans circonstances aggravantes , ainsi que les détentions-contraventions de plus de trois grammes ou d’une plante, peuvent mener à des amendes, une mise à l’épreuve (probation prétorienne), le suivi d’un traitement médical, un travail d’intérêt public, ou encore l’obligation de suivre une formation. Conformément à la Loi, la circulaire rappelle que des sanctions plus sévères sont prévues en cas de récidive, jusqu’à des peines d’emprisonnement, en ce compris pour la détention de cannabis.

Tableau 3 : Les circonstances aggravantes :

  1. Le délinquant était membre ou dirigeant d’une association qui délivre de la drogue ;
  2. Les délits ont été commis à l’égard de mineures ;
  3. L’usage de drogue a provoqué chez autrui une maladie paraissant incurable, une incapacité permanente de travail, la perte de l’usage absolu d’un organe, une mutilation grave voire la mort.

Tableau 4 : Les circonstances constituant  une détention-délit (autrefois désignées comme constituant un trouble à l’ordre public) :

  1. La détention de cannabis dans un établissement pénitentiaire ou dans une institution de protection de la jeunesse ;
  2. La détention de cannabis dans un établissement scolaire ou similaire ou dans ses environs immédiats. Il s’agit de lieux où les élèves se rassemblent ou se rencontrent, tel qu’un arrêt de transport en commun ou un parc proche d’une école ;
  3. La détention ostentatoire de cannabis dans un lieu public ou un endroit accessible au public (ex. un hôpital).

La circulaire introduit également une distinction concernant la vente de drogues illégales en petites quantités : d’un côté la vente par appât du gain, de l’autre la vente pour financer sa consommation personnelle. La vente par appât du gain est considérée comme un maillon de la distribution organisée des drogues illégales et dès lors traitée de manière répressive, à l’instar de tout fait relevant de la délinquance organisée. Concernant la vente pour financer sa consommation personnelle, le parquet applique les mesures recommandées pour traiter la détention d’une quelconque drogue illégale autre que le cannabis (avec ou sans circonstances aggravantes), c’est-à-dire une amende, une mise à l’épreuve, le suivi d’un traitement médical, un travail d’intérêt public, l’obligation de suivre une formation, ou bien une citation ou un renvoi correctionnel (avec le risque d’une peine de prison allant de trois mois à un an, et une amende allant de 1.000 à 100.000€, à multiplier par le coefficient en vigueur).

De l’insécurité juridique du cadre légal actuel

Cette profusion de textes légaux et réglementaires, dont la portée et l’influence diffèrent, ne joue pas en faveur de la clarté du contexte légal dans lequel s’inscrit la détention de cannabis.

D’abord, la portée des circulaires, qu’elles soient progressistes ou non, est limitée. Ces textes sont au plus bas de la hiérarchie des normes juridiques et sont seulement contraignants pour une partie des acteurs concernés. Les circulaires ne concernent en effet que les membres du ministère public (c’est-à-dire le parquet, les procureurs du Roi), dans une perspective d’uniformisation des politiques de poursuite. Le parquet est libre de les interpréter et peut tout à fait s’écarter de celles-ci, à condition de motiver leur décision8. En revanche, les circulaires ne s’imposent pas aux juges, étant donné que ces circulaires émanent du pouvoir exécutif.

L’application des lois et arrêtés royaux pose aussi question ; elle dépend en effet de l’interprétation d’un même fait par les magistrats (juges, procureures du Roi) et les policiers, (appréciation des notions de « circonstances aggravantes », « environnements immédiats », « appât du gain », « détention ostentatoire » ou « trouble de l’ordre public ») et du traitement qu’en feront les 14 différents parquets (c’est-à-dire quelle priorité sera donnée aux cas de détention de cannabis).

Les poursuites et condamnations pour la seule détention de cannabis sont relativement rares, bien qu’elles restent d’actualité dans certains arrondissements judiciaires. Toutefois, la détention de cannabis constitue un instrument pénal qui peut être mobilisé pour justifier des interpellations, des arrestations et l’ouverture d’un dossier, souvent à charge de personnes précarisées, marginalisées, racisées, ou d’origine étrangère9.

L’ensemble de ces éléments pose une véritable question vis-à-vis du caractère prévisible de la loi pénale. La Constitution consacre en effet le principe de légalité des délits et des peines10, dont le corollaire est une loi claire et précise qui permet à toute citoyenne de la connaître et de savoir si elle l’enfreint ou non. La loi pénale doit être prévisible puisque des peines peuvent être appliquées en cas d’infraction. Or, en l’état actuel du cadre légal, et compte tenu de plusieurs déclarations politiques récentes, favorisant la répression et parfois contradictoires, il est difficile d’anticiper les conséquences pénales qu’entraîne la détention de cannabis.

La vente de produits à base de cannabidiol (CBD)

Les normes européennes et belges autorisent la culture de cannabis (ou chanvre) à des fins industrielles et agro-alimentaires, à condition que celui-ci ne contienne pas plus de 0,2% de THC11. Le commerce d’huile de chanvre, de graines de chanvre et les produits à base de celles-ci sont autorisés depuis de nombreuses années (en tant que produits alimentaires, moyennant une dérogation).

En 2017 et 2018, la vente de produits à base de CBD a fleuri en Belgique, que ce soit en magasin ou par internet. L’existence des magasins de CBD se base sur l’absence d’interdiction de la substance CBD (qui n’est pas visée par la loi de 1921, ni par l’arrêté royal de 2017) et l’autorisation de la culture des produits du cannabis contenant moins de 0,2% de THC. Ces produits sont vendus sous forme de fleurs de cannabis, d’huile, d’e-liquide, etc.

Toutefois, la commercialisation de produits pour un « usage humain » (que ce soit cosmétique, alimentaire, médical, etc.) est strictement encadrée et les produits qui ne bénéficient pas d’une autorisation spécifique sont interdits. Les commerçants ne peuvent donc pas vendre ces produits comme des aliments ou des cosmétiques ; ils ne peuvent pas non plus en promouvoir les propriétés médicinales. Afin de contourner cette interdiction, les produits à base de CBD étaient dès lors officiellement vendus comme non destinés à l’usage humain, en tant que « pot-pourri » par exemple.

Le CBD en tant que produit destiné à être fumé

De nombreux magasins de CDB ont fermé, depuis qu’en avril 2019, le Service public fédéral Finances a assimilé les produits à base de CBD à la catégorie fiscale des « autres tabacs à fumer », afin de pallier le flou de cette situation et d’encadrer la vente de ces produits. Ils doivent dès lors se soumettre à la législation en matière de tabac, c’est-à-dire : application des accises, respect des règles de fabrication, d’emballage et de mise dans le commerce, et transfert de la liste des ingrédients au SPF Santé publique. La reconnaissance par le SPF Finances signifie également que la vente de ces produits peut désormais sortir des commerces spécialisés et être pratiquée par les commerces vendant habituellement du tabac (librairies, night-shops, stations-service, etc.) qui ne sont pas forcément compétents pour dispenser des conseils de prévention aux usagers. Avec l’application des accises du tabac et donc l’augmentation des prix, de nombreux commerces spécialisés n’ont pas pu poursuivre leurs activités en raison de l’étranglement de leurs marges bénéficiaires.

Le CBD en tant que denrée ou complément alimentaire

Actuellement, l’Union européenne considère les produits alimentaires contenant du CBD comme un « novel food », c’est-à-dire un aliment ou ingrédient dont la consommation était négligeable, voire inexistante dans les pays de l’Union avant 1997. Les produits considérés comme « novel food » doivent faire l’objet d’une autorisation européenne pour leur commercialisation en tant que denrée alimentaire, après évaluation de leur dangerosité.

Même si elles ne sont pas considérées comme des « novel foods » au niveau européen, la plante de Cannabis sativa L. et les préparations obtenues à partir de celle-ci ne sont pas pour autant autorisées comme denrées alimentaires ou compléments alimentaires en Belgique (d’après l’arrêté royal du 29 août 1997) ; une dérogation peut toutefois être demandée auprès du SPF Santé publique pour tout aliment à base de plante de cannabis (fleurs, feuilles) contenant moins de 0,2% de THC. Aucune dérogation n’est accordée dans les cas où les fleurs ou feuilles de plante peuvent être utilisées en infusion.

Parallèlement, l’huile de graines de chanvre, les graines de chanvre et les produits à base de celles-ci ne sont pas considérés comme des « novel foods », mais leur commerce en tant que denrées alimentaires n’est pas pour autant autorisé par la Belgique. Une dérogation peut toutefois être demandée auprès du SPF Santé publique ; cette dérogation s’applique cependant à un lot spécifique d’un certain produit, et non pas au produit générique.

Tableau 5 : La régulation des « novel foods » dans l’UE

 

Aliment ou ingrédient

Novel food (UE)

Denrée alimentaire autorisée (Belgique)

Plante Cannabis sativa L. (>0,2% THC)

Non

Non

Plante Cannabis sativa L. (<0,2% THC)

Non

Oui, si dérogation

Huile de graine

Non

Oui, si dérogation

Graines de cannabis

Non

Oui, si dérogation

Extraits de cannabis (THC, CBD, etc.)

Oui

Non

Cannabidiol (CBD)

Oui

Non

Le cbd Sous forme e-liquide

Des produits à base de CBD au format e-liquide sont également vendus. Les e-liquides n’entrent pas dans le cadre prévu pour les « autres tabacs à fumer », qui ne concerne que les produits consommés par combustion. Les e-cigarettes et les e-liquides bénéficient d’un cadre légal depuis l’arrêté royal du 28 octobre 2016, qui contraint les fabricantes à déclarer les ingrédients utilisés dans la production des e-liquides au SPF Santé publique avant leur mise sur le marché. La vente à distance des e-cigarettes et flacons de recharge est interdite, bien qu’il soit encore possible d’en acheter sur des sites internet étrangers. Il n’existe actuellement pas de cadre réglementaire clair en matière de CBD sous forme d’e-liquide, à même de préciser le caractère légal de la production et de la vente de ces produits, ainsi que leur teneur en CBD et leurs conditions de mise sur le marché.

Tableau 6 : Risques liés à l’utilisation des e-liquides

Aux États-Unis, en date du 20 novembre 2019, 2290 hospitalisations (dont 47 décès) ont été recensées sur quelques mois, faisant état de maladies respiratoires aiguës chez des adeptes du vapotage. L’enquête menée par les autorités de santé américaines a permis d’écarter les causes habituelles de maladies pulmonaires et d’isoler un dénominateur commun : l’utilisation d’une cigarette électronique pour consommer des produits non réglementaires (contenant le plus souvent du THC). Des analyses supplémentaires ont permis d’incriminer l’acétate de vitamine E comme agent pathogène, mais il n’est actuellement pas exclu que d’autres substances, telles que des huiles, puissent également être impliquées12. En Belgique, un décès apparemment induit par le vapotage d’une substance toxique est survenu en novembre 2019.

Sur le plan de la santé publique, la cigarette électronique est un dispositif tout à fait pertinent, dans la mesure où elle permet de réduire les risques liés à la combustion des produits du tabac13. En revanche, tous les produits ne sont pas forcément destinés à être vapotés, et certains peuvent manifestement s’avérer dangereux.

Les principaux composants utilisés dans les e-liquides commercialisés (propylène glycol, glycérine végétale, arômes) ne semblent pas nocifs pour la santé en usage aigu. Et, si leurs effets à long terme sur la santé ne sont pas encore connus, selon toute vraisemblance, ils seraient minimes ou moindres que ceux induits par le tabac. L’exemple des États-Unis met en revanche clairement en évidence les risques liés à la consommation de produits vendus au marché noir, dont la composition n’est bien évidemment pas contrôlée14. De plus, les différents composants des e-liquides peuvent être achetés séparément, laissant aussi aux usagères la possibilité de fabriquer et doser leur propre recharge. On ne peut donc pas exclure l’ajout de composants supplémentaires impropres à la consommation par vapotage (par exemple, une huile de CBD destinée à être consommée par ingestion, telle que celle vendue dans les CBD shops, ou une huile contenant du THC achetée sur internet).

En Belgique, l’évaluation des risques sanitaires liés aux substances contenues dans les e-liquides revient aux fabricants, importateurs ou distributeurs. Et seuls les e-liquides contenant de la nicotine bénéficient d’une liste officielle de substances interdites (additifs cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques). Plus spécifiquement, les e-liquides à base de CBD vendus en Belgique ne bénéficient pas d’une réglementation claire et spécifique, ni de normes de composition permettant d’apporter des garanties aux usagers sur le plan de la santé publique. Certains e-liquides actuellement commercialisés sont donc susceptibles de contenir des substances dangereuses pour la santé des usagères.

Vers la mise en place d’un Bureau du cannabis ?

Un cadre légal permettant une culture contrôlée destinée à alimenter la recherche scientifique fait défaut en Belgique, condamnant d’avance toute initiative allant dans ce sens.

La situation a récemment connu quelques changements. En effet, le 28 mars 2019, la Chambre des Représentants a adopté la proposition de « loi modifiant des dispositions relatives à la remise des avis scientifiques et techniques par l’AFMPS15 et portant sur le financement de l’AFMPS ainsi que sur la création d’un bureau du cannabis »16. Sous réserve que la culture de cannabis soit autorisée, il est prévu que le Bureau du cannabis soit attaché à l’AFMPS et chargé de contrôler la culture du cannabis à des fins médicales ou scientifiques ; la culture sera assurée par des productrices autorisées.

La création du Bureau répond aux exigences internationales en matière de contrôle de la culture du cannabis à des fins médicales ou scientifiques : la Convention de 196117 stipulant que toute recherche médicale et scientifique devra avoir lieu sous la surveillance et le contrôle directs des États. Les recherches scientifiques et médicales porteraient dès lors principalement sur les vertus thérapeutiques du CBD, puisque seules les variétés de cannabis ne contenant pas plus de 0,2% de THC substance ne font pas l’objet d’interdiction actuellement. Dans le cadre d’une réglementation du cannabis en Belgique, le Bureau pourrait se saisir des missions relatives au contrôle de la production et de la distribution, à l’instar de ce qui se fait actuellement dans de nombreux États ayant régulé le marché du cannabis (voir chapitre 4).

Le statut du cannabis à usage thérapeutique

Les conventions internationales des Nations Unies n’interdisent pas l’utilisation du cannabis ou de produits à base de cannabis à des fins médicales et scientifiques. Il n’y a pas de législation européenne à ce sujet et chaque État membre est libre de légiférer. Force est de constater que la Belgique adopte une position restrictive en matière de cannabis thérapeutique en comparaison avec d’autres pays européens, toujours plus nombreux à en élargir l’accès.

L’arrêté royal du 11 juin 2015 a formellement interdit la délivrance de préparations officinales ou magistrales18 à base de THC en Belgique. Les médicaments à base de THC doivent donc être des spécialités pharmaceutiques (c’est-à-dire des médicaments préparés et conditionnés à l’avance). Sur le plan légal, les médicaments contenant du THC peuvent donc bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché par l’AFMPS et dès lors être délivrés en pharmacie sur prescription médicale. Les médicaments autorisés doivent faire l’objet de tests approfondis, de manière à ce que leur composition, qualité, dosage et effets secondaires soient bien connus. Seul le médicament Sativex® est actuellement autorisé en Belgique (depuis le 1er janvier 2016)19 . Les conditions de prescription et de remboursement sont cependant très strictes et limitées.

Parallèlement à l’avènement de la vente de produits à base de CBD, l’AFMPS a publié en juillet 2019 une circulaire se prononçant sur la délivrance de préparations à base de CBD, contenant des traces de THC, en pharmacie20. L’Agence statue que, lorsqu’une matière première n’est pas autorisée, un pharmacien peut tout de même et uniquement l’utiliser dans des préparations magistrales (donc, sur prescription) et à condition qu’il y ait un certificat d’analyse délivré par un laboratoire agréé. La préparation est acceptable si la patiente est exposée à maximum 1 microgramme de THC par kg de poids corporel par jour. Dès lors, les pharmaciens peuvent transformer la matière première (sous forme de poudre) en huile, en pilule ou encore en pommade. Les préparations officinales et la vente de compléments alimentaires à base de CBD sont interdites en pharmacie.

Ces éléments sont développés plus loin dans le chapitre dédié aux usages thérapeutique du cannabis.


1 Actuellement, la simple de détention de cannabis pour usage personnel peut être punie d’une amende de 15 à 25€ pour la 1ère infraction, d’une amende de 26 à 50€ en cas de récidive dans l’année depuis la première condamnation, et d’un emprisonnement de 8 jours à un mois et d’une amende de 50 à 100€ en cas de récidive dans l’année depuis la 2ème condamnation (les amendes sont à multiplier par le coefficient en vigueur, actuellement de 8).

2 Avis n° 61.002/3 du 3 avril 2017 du Conseil d’État

2b Exposé des motifs de l’Arrêté Royal du 6 septembre 2017

3 Une tolérance instaurée par la Circulaire commune de 2005, révisée en 2015 et en 2018 (voir ci-après) et qui a remplacé les directives des 16 mai 2003 et 25 janvier 2005.

4 Question orale de M. Frédéric à Mme De Block et M. Geens sur « l’arrêté royal du 6 septembre 2017 réglementant les substances stupéfiantes, psychotropes et soporifiques », Compte rendu intégral de la Commission de la Justice du 18/10/2017

5 Circulaire commune du ministre de la Justice et du Collège des procureurs généraux relative à la constatation, l’enregistrement et la politique des poursuites en matière de détention et de vente au détail de drogues illicites

6 Les Arrêtés royaux des 31 décembre 1930 et 22 janvier 1998

7 Les personnes détentrices de cannabis, ou ayant commis une infraction en lien avec les drogues illégales, sont majeures. Les personnes mineures dépendent, elles, de la loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse.

8 Moiny (2018)

9 Mormont (2014)

10 Principe de légalité en vertu duquel une personne ne peut être poursuivie et condamnée pour une infraction qui n’était pas prévue par la loi avant que l’infraction ne soit commise.

11 Voir le Règlement n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/PDF/?uri=CELEX:32013R1307.

12 L’acétate de vitamine E est une substance liposoluble extraite d’huiles végétales. Elle est inoffensive lorsqu’elle est consommée par voie orale. En revanche, inhalée après échauffement dans une cigarette électronique, elle ne parvient pas à être métabolisée et se « colle » aux alvéoles pulmonaires, entraîne leur inflammation, et les rend incapables de fonctionner correctement et d’oxygéner le sang (pneumopathie lipidique exogène). Il est vraisemblable que la vitamine E soit utilisée par les fabricants pour faciliter l’extraction du THC ou du CBD des fleurs de cannabis ou pour en améliorer la conservation. Mais d’autres huiles pourraient aussi être en cause car, de manière générale, l’inhalation de diverses huiles peut provoquer une pneumopathie lipidique (Ukkola-Pons et al., 2010).

13 Il est important de rappeler que le tabac est une des causes principales de décès dans les pays occidentalisés.

14 Layden et al. (2019)

15 Agence fédérale des médicaments et des produits de santé

16 La loi ne bénéficie pas encore d’arrêtés d’exécution.

17 La convention unique des Nations-Unies sur les stupéfiants, ratifiée le 30 mars 1961 à New York. Son objectif est de limiter la production et le commerce de substances interdites en établissant une liste de ces substances, qualifiées de stupéfiants.

18 Les préparations magistrales sont préparées en pharmacie pour une patiente déterminée et selon une prescription médicale, en raison de l’absence de spécialité disponible ou adaptée. Les préparations officinales sont également préparées en pharmacie, mais ne nécessitent pas de prescription et ne sont pas remboursées.

19 L’Epidiolex (principalement à base de CBD et contenant moins de 0,1% de THC) est délivré dans des cas exceptionnels, introduits par une déclaration du médecin, puisque ce médicament ne bénéficie pas encore d’une autorisation de mise sur le marché en Belgique.

20 Circulaire « Interprétation de l’arrêté royal du 11 juin 2015 réglementant les produits contenant un ou plusieurs tétrahydrocannabinols, en ce qui concerne les matières premières pour les préparations magistrales » publiée le 16/07/2019.

Top Aller au contenu principal