4. Les alternatives à la prohibition : modèles et expériences
Résumé : Depuis plusieurs années, nous assistons à différents changements dans les politiques des drogues à l’étranger. La prohibition pure et simple n’est plus le fondement unique au niveau international. Des alternatives sont mises en place afin d’apporter des réponses axées sur la santé et les droits humains et non plus sur la seule criminalisation des personnes usagères.
Ce chapitre abordera différentes politiques de tolérance, telles que les coffee shops néerlandais ou les Cannabis Social Clubs espagnols, le modèle de décriminalisation portugais ainsi que les modèles de légalisation/régulation du cannabis à usage récréatif en Uruguay, dans certains États des États-Unis et au Canada.
La coexistence de ces différents modèles montre que l’usage de drogues est profondément culturel et qu’un modèle valable dans un pays ne l’est pas forcément dans un autre ; il faut donc tenir compte des spécificités de chaque pays. De plus, il est nécessaire d’inscrire les changements dans la loi pour garantir à la politique mise en place une certaine continuité. Enfin, aucun modèle n’est parfait et sa mise en œuvre requiert des évaluations régulières et des adaptations.
Les différents modèles de régulation1a
Depuis une décennie environ, les politiques en matière de cannabis tendent à être assouplies dans de nombreux États selon des modalités différentes, oscillant entre tolérance, dépénalisation, décriminalisation, légalisation, régulation et réglementation. Ce chapitre propose un bref tour d’horizon, non exhaustif, des orientations politiques alternatives à un strict interdit afin d’éclairer le propos. Plusieurs notions juridiques parcourent le sujet et méritent d’être définies :
- Le régime de tolérance ne modifie en rien l’interdit frappant les drogues illégales ni les sanctions dont sont passibles ces transgressions, mais incite les agents de contrôle et de sanction à ne pas poursuivre certaines pratiques, à les tolérer.
- La dépénalisation consiste en l’abaissement des peines prévues pour certaines pratiques – qui restent interdites – jusqu’à leur suppression éventuelle. En matière de drogues, elles concernent en général la détention et l’usage ; rarement le commerce ou la production.
- La décriminalisation va un peu plus loin puisqu’elle sort complètement un comportement du champ pénal. Il est toujours interdit, mais n’est plus considéré comme une infraction (qu’il s’agisse d’une contravention, d’un délit ou d’un crime), donc n’est plus sanctionné. En matière de drogues, cela concerne principalement la détention et l’usage.
- La légalisation est le fait de donner un cadre légal à un comportement, c’est la reconnaissance « active » d’une liberté. La légalisation peut s’accompagner d’une régulation ou d’une réglementation de la part de l’État visant à encadrer ces nouvelles libertés.
- La régulation est un terme emprunté au domaine économique, qui désigne les mécanismes dont dispose un État pour maintenir l’équilibre sur un marché de biens ou de services, notamment pour éviter la formation de monopoles ou d’oligopoles. La réglementation est un des mécanismes de la régulation.
- La réglementation consiste à édicter un ensemble de normes et de règles en termes d’accès au produit, d’âge minimum légal, de production, de publicité, de sécurité routière, comme c’est le cas pour l’alcool et le tabac.
Chacune des options énoncées peut être déclinées de plusieurs manières. Par exemple, la tolérance peut être instaurée pour le cannabis et pas pour les autres drogues ; la décriminalisation peut s’inscrire dans les textes de loi (= décriminalisation de droit) ou s’opérer sur le terrain (= décriminalisation de fait, à l’initiative, par exemple, de la police qui ne dresserait plus procès-verbal).
Ces quelques notions juridiques sont parfois utilisées à tort et à travers, semant la confusion dans les esprits et les débats. Toutefois, elles sont importantes, elles permettent en effet d’envisager un large champ d’actions possibles. Changer de politique ne signifie donc pas forcément « ouvrir la porte à la consommation ». Au contraire, dans le cas d’une régulation du cannabis, il est tout à fait possible de donner moins de publicité que ce qui a cours aujourd’hui sur le marché illicite du cannabis (ex. via les réseaux sociaux) ou sur le marché légal de l’alcool. Réglementer le marché du cannabis ne constitue absolument pas une facilitation ou une incitation à l’usage.
Les coffee shops néerlandais : dépénalisation de la possession et tolérance de la vente
Les Pays-Bas ont été les premiers à adopter une politique de tolérance envers la consommation, la possession et la vente de cannabis. Depuis 1976, la culture de cinq plants et la possession de 30 grammes de cannabis ne constituent plus des infractions criminelles, mais de simples délits passibles d’une amende. La vente dans des lieux spécifiques – les coffee shops – est tolérée mais pas légalisée. Cette approche pragmatique, demeure un modèle paradoxal, car elle dépénalise partiellement la consommation et tolère la vente de cannabis sans permettre sa production. C’est donc sur le marché noir que s’approvisionnent les coffee shops, en l’absence de tout contrôle sur les modes de production du produit et, in fine, sur le cannabis vendu au public.
Plus de 40 ans après son adoption, ce modèle est de plus en plus critiqué. De nombreuses grandes villes du pays ont exigé dès le début des années 2010 un changement de politique en matière de cannabis. Elles sont à présent plus de deux cents à demander ce changement. En septembre 2017, la question de la régulation de la production a été mise à l’agenda politique afin d’expérimenter une production locale dans six à dix grandes villes néerlandaises, et ce projet a été voté en 2018. Depuis lors, sa mise en application a pris du retard, mais devrait se mettre en place prochainement.
Les Cannabis Social Clubs espagnols : une tolérance peu régulée
En Espagne, la production, le trafic, la vente et la détention de cannabis sont interdits. Mais la consommation, excepté dans les lieux publics, n’est pas prohibée. Puisqu’il est difficile de consommer sans posséder, tant que la consommation relève de la vie privée et ne trouble pas l’ordre public, les juges ne sanctionnent pas la détention dans l’espace public dans le cadre de l’usage personnel.
Jouant sur cette zone grise et cette marge de tolérance, les Cannabis Social Clubs sont apparus au cours des années 1990 et sont encore à ce jour tolérés par les instances policières et judiciaires. Il s’agit d’associations ou de coopératives de personnes usagères qui s’organisent pour produire collectivement le cannabis nécessaire à leur consommation personnelle. Autrement dit, au lieu de cultiver chacune sa plante dans son jardin ou sur son balcon, ils mettent leurs plants en commun et se répartissent la production, ou délèguent les tâches de culture pour ensuite récupérer chacun sa part de cannabis.
Tableau 7 : Les Cannabis Social Clubs en Espagne
L’organisation de ces clubs privés s’appuie sur différents arguments légaux : outre la non-prohibition de l’usage privé, la Cour Suprême a développé un concept de « consommation partagée », non punissable. Ce concept a émergé dans le courant des années 1980, pendant la crise sociale et sanitaire engendrée par l’augmentation de la consommation d’héroïne. L’Espagne assiste alors à de nombreuses affaires judiciaires impliquant des consommateurs ou des parents de consommatrices qui sont jugés pour l’achat de petites quantités de drogues destinées à la redistribution parmi leurs pairs ou membres de leur famille. Ceci a entraîné la condamnation d’un grand nombre de personnes à des peines disproportionnées allant jusqu’à plusieurs années de prison pour délit de trafic de drogue. Pour remédier à cette situation, la Cour Suprême a adopté une doctrine selon laquelle aucune infraction criminelle ne pouvait être imputée à ces personnes lorsqu’un ensemble de conditions étaient remplies : il doit s’agir d’un groupe fermé de personnes consommatrices, aucun des individus impliqués ne doit tirer un profit de la distribution, et les drogues doivent être distribuées pour consommation immédiate1.
Étant donné que seule la commercialisation des substances illégales telles que le cannabis est une infraction légale, les Cannabis Social Clubs ont développé un modèle non lucratif, dans le cadre d’un circuit ou club fermé de personnes consommatrices adultes. Comme chaque club dispose de ses propres règles, certains observateurs regrettent, à juste titre, que certains Cannabis Social Clubs n’aient d’associatif que le nom, et que leur dimension coopérative ait été remplacée par une logique marchande. Afin d’éviter ce genre de dérives, les questions de la taille du club et du prix de vente sont essentielles.
Réelle alternative au marché noir, cette proposition non commerciale nous paraît particulièrement intéressante pour une nouvelle politique en matière de cannabis, pour peu qu’elle soit suffisamment encadrée. Elle relève aussi d’une forme de citoyenneté active visant à s’organiser au lieu de s’en remettre au marché commercial, au marché noir, ou à l’État. Nous développerons ces éléments dans le chapitre 6.
La décriminalisation au Portugal : soigner plutôt que réprimer
Ces dernières années, dans les discussions sur les politiques en matière de drogues, le Portugal est régulièrement cité en exemple. La décriminalisation de l’usage, de l’acquisition et la détention de toutes les drogues, depuis 2001, en fait de loin le pays le plus avancé en Europe en matière de législation. Le gouvernement portugais a opéré un changement radical de politique par rapport aux années de répression. La motivation de ce changement résulte du constat de l’inefficacité de la prohibition face à une problématique relevant de la santé publique.
Bien que décriminalisée, la possession de drogues pour usage personnel constitue une infraction administrative qui astreint les individus interpellés avec une quantité inférieure à 10 jours de consommation2 à se présenter devant une commission ou « panel » de dissuasion. Celle-ci se compose de conseillers juridiques, de psychiatres et de travailleuses sociales. Elle est chargée d’évaluer si la consommation est problématique et à quel niveau. Elle peut imposer des amendes (environ 10% des cas) ou des services communautaires. Mais son rôle est surtout de persuader celles et ceux qui en ont besoin de s’inscrire à un programme de traitement. Environ 30% des personnes examinées (toutes drogues confondues) sont évaluées ainsi et réorientées vers les services de santé.
Un changement de paradigme aux effets mesurables
Les effets de la décriminalisation au Portugal sont nombreux et globalement positifs, et ils sont loin de confirmer l’angoisse d’une prétendue facilitation de l’usage de drogues. Au contraire :
- L’usage de drogues a globalement diminué au cours des 15 dernières années. Selon les autorités portugaises, le nombre d’héroïnomanes a baissé de 60% en une décennie3. D’après le rapport 2009 de l’Institut de la drogue et des toxicomanies portugais (IDT), le Portugal serait le pays où la consommation de cannabis des 15-64 ans est la plus faible d’Europe4. Idem pour la consommation de cocaïne – même si elle suit globalement la tendance européenne à l’augmentation.
- Le nombre de contaminations au VIH imputables aux injections de drogue a été divisé par 25 en 12 ans et le nombre de décès liés à l’usage de drogues a été divisé par 8 sur la même période.
- On constate une réduction de la charge des délinquantes toxicomanes sur le système de justice pénale (en termes financiers et de surpopulation carcérale).
Malgré une politique de réduction des risques bien plus efficace et efficiente depuis l’introduction du modèle en 2001, la vision des personnes usagères comme malades et incompétentes a cependant favorisé la mise en place d’une politique de l’abstinence. Celles qui sont pris avec des produits illicites doivent participer à des rendez-vous médicalisés pour encourager l’arrêt de la consommation ou – dans certains cas – accepter de payer une amende. Ainsi, ces personnes continuent à être les sujets d’un traitement forcé et involontaire, d’une injonction thérapeutique. Aucune place n’est laissée au choix du traitement, tel que des produits de substitution, voire au choix de porter atteinte à sa santé sans causer le moindre dommage à autrui. Il n’y a aucun encouragement à l’autonomie ou à la consommation responsable. Même dans le cadre d’un modèle de décriminalisation, persiste une violation de la liberté, de la dignité et des droits fondamentaux.
Le modèle portugais de décriminalisation partielle est donc un premier pas, non un point final. Ses insuffisances résident dans l’absence d’une véritable vision de promotion de la santé. Pour être totalement cohérente, la décriminalisation devrait être accompagnée d’une régulation du marché des drogues et d’une politique active en matière de lutte contre la stigmatisation, la discrimination et l’exclusion dont la majorité des personnes usagères demeurent les victimes.
La légalisation aux États-Unis : un contrôle de l’État empreint de libéralisme économique
L’usage, la vente, la détention, la culture ou le transport de cannabis sont des comportements interdits aux États-Unis. Le Gouvernement fédéral a cependant annoncé que les États fédérés pouvaient, à leur niveau, légiférer dans le cadre d’un usage récréatif ou médical, confirmant ainsi une tendance amorcée dès la fin des années 1990 en Californie.
La situation évolue rapidement au pays de l’oncle Sam, et à l’heure actuelle, 33 États sur 50 ont légalisé le cannabis à usage médical contre une dizaine pour le récréatif. Il en résulte une situation paradoxale et injuste, dans laquelle des personnes sont emprisonnées pour des faits liés au cannabis dans certains États, alors qu’il est légalisé dans d’autres. Rappelons également que près de la moitié (46,2 %) des prisonniers aux USA le sont pour des faits de drogues5, dont 40 % pour des faits liés au cannabis (possession en très grande majorité)6.
De manière générale, on peut dire que les légalisations américaines sont résolument orientées vers le marché vu que le paradigme économique de la libre concurrence reste le modèle dominant aux États-Unis. D’autres modèles comme les monopoles d’État ou les coopératives ne sont ni culturellement ni légalement envisageables, pour le moment en tout cas.
À l’heure actuelle, ce sont les États fédérés qui fixent les conditions de la légalisation du cannabis. Sur le principe, on constate des similitudes dans l’organisation du commerce du cannabis ; des nuances existent toutefois, notamment concernant le régime fiscal et de taxation des recettes du commerce du cannabis.
Le cas de l’État du Colorado
Le Colorado est le premier État à avoir légalisé et régulé le commerce du cannabis récréatif selon un principe : éviter que le cannabis ne tombe entre les mains des enfants, des criminelles et des autres États. Le seul mandat qui a été donné aux pouvoirs publics est de « réglementer le cannabis comme l’alcool ».
Depuis 2014, l’État délivre des licences d’exploitation aux producteurs et aux magasins de détail. Pour obtenir la licence, il faut respecter un cahier des charges strict, notamment en termes de localisation, de superficie, de publicité, de sécurité, … Les publications relatives à la culture de cannabis sont quant à elles soumises à la loi s’appliquant aux imprimés pornographiques. Les lois du Colorado restreignent la publicité à la télévision, à la radio ou sur papier. Une exception est faite si la preuve peut être apportée que le public qui recevra l’annonce sera majoritairement âgé de 21 ans (âge légal pour la consommation de cannabis).
Si le Colorado est pionnier dans la légalisation du cannabis aux États-Unis, on peut s’interroger sur la place donnée à la santé publique dans ce modèle, ainsi que sur le rôle de l’industrie : n’est-elle pas tout simplement en train d’encourager la consommation, comme ce fut le cas à une autre époque pour l’alcool et le tabac ?
La régulation étatique en Uruguay : un modèle non lucratif prudent
En juin 2012, le gouvernement uruguayen annonce au monde entier sa volonté de réguler la vente et la production de cannabis à usage récréatif. L’objectif est de lutter plus efficacement contre le crime organisé lié au trafic de drogues, en provenance du Paraguay, et de mieux remplir les objectifs de santé publique.
Ce modèle se distingue par la diversité des formes d’accès au cannabis récréatif (non cumulables) telles que l’autoculture, les Cannabis Social Clubs ou la vente en pharmacie.
La régulation en Uruguay rencontre cependant des difficultés, du moins en ce qui concerne la distribution en pharmacie et l’attribution de licences de production à des sociétés privées. Une partie de la corporation des pharmaciens est réfractaire à l’idée de distribuer du cannabis en officine, jugeant que ce n’est pas sa mission. Les sociétés privées jugent l’investissement industriel risqué dans un contexte où le gouvernement a prévu de pouvoir mettre un terme, après évaluation, à la légalisation en cas d’objectifs non atteints ou d’effets indésirables de la légalisation.
À ce jour, seules deux entreprises sont autorisées à produire le cannabis destiné à être vendu en pharmacie, mais elles devraient être rejointes rapidement par cinq autres afin, entre autres, de pouvoir répondre à la demande (l’offre actuelle étant clairement insuffisante). Quant aux pharmacies enregistrées, elles étaient 16 en 2017 contre 12 à l’heure actuelle. Le prix pratiqué défie toute concurrence, à 1,40 dollars le gramme. À ce tarif, on peut affirmer avec certitude que les recettes pour l’État sont quasi nulles.
Le modèle uruguayen place résolument la santé publique au centre du dispositif et sa mise en œuvre a été menée de manière prudente. Néanmoins, l’obligation de s’enregistrer officiellement pour accéder au cannabis pose question et est peu appréciée par la population qui y voit un moyen de contrôle. Certaines personnes refusent toujours de s’inscrire dans de tels registres et s’approvisionnent probablement encore au marché noir. L’Uruguay a évité la commercialisation à outrance en se focalisant sur la protection des personnes usagères, mais peut-être les prochaines années verront-elles pointer un modèle plus commercial, notamment en ce qui concerne le cannabis médical. Il existe par contre une certitude : cette régulation a permis d’offrir des produits de bien meilleure qualité par rapport au cannabis du marché noir, en provenance du Paraguay, reconnaissable à l’odeur chimique qui se dégage lors de sa combustion7.
Le Canada : légaliser pour réguler et contrôler l’accès au cannabis
Après l’Uruguay, le Canada est le deuxième pays au monde à légaliser le cannabis à l’échelle nationale et le premier pays du G7 à réglementer la production et la vente de cannabis à des fins récréatives. Cette politique est entrée en application le 17 octobre 2018.
La loi C-45 tente de trouver un équilibre entre la législation fédérale qui fixe le cadre légal et l’autonomie des territoires et provinces, qui ont tous proposé leur propre projet de légalisation encadrée. Les objectifs fixés par la loi canadienne sont de deux ordres, le premier est de garantir la santé publique, en protégeant au maximum les jeunes, et le second est d’éliminer le marché noir pour assurer la sécurité publique.
La loi fédérale autorise, pour les adultes, la possession de 30 grammes maximum en public et l’autoculture. Elle édicte les règles de production, de distribution et d’accès. Les provinces et territoires décident des détails des régulations. Afin d’assurer un contrôle de la qualité, seuls les producteurs autorisés par Santé Canada – le Ministère de la Santé – peuvent approvisionner les commerces de vente au détail. Il n’y a, pour le moment, aucune règle concernant les prix, et ceux pratiqués actuellement ne semblent pas vraiment concurrencer le marché noir. Parmi les différentes analyses consacrées à la mise en place du modèle canadien, celle d’Alexandra Maillard pour l’association NORML France8 est éclairante :
Les points positifs :
- La santé publique est enfin au centre des politiques sur le cannabis ;
- La loi est plus adaptée aux mœurs et met fin à la discrimination de l’usage adulte privé ;
- La liberté de cultiver dans son jardin est actée au niveau fédéral (4 plants par personne adulte) ; elle est cependant interdite dans certaines provinces comme le Québec et le Manitoba. Cela étant, la justice québécoise a récemment estimé que cette interdiction était anticonstitutionnelle. Le gouvernement québécois a fait appel de ce jugement ;
- Le fait que chaque province et chaque municipalité puisse choisir d’adapter le cadre légal va permettre d’étudier différentes variantes de régulation ;
- L’évaluation triennale de la loi devrait permettre des adaptations ultérieures.
La valeur d’exemple est indéniable pour les autres pays : il est clairement possible pour chaque État de mettre en place des politiques de régulation du cannabis à l’heure où les conventions internationales sont ouvertement critiquées par plus du quart des États membres de l’ONU.
Les points négatifs : limites et incohérences
La législation se veut libérale, mais intraitable à l’égard de celles et ceux qui ne la respectent pas. Les infractions au cadre fixé sont sévèrement sanctionnées par des peines d’emprisonnement. Par exemple, si une personne majeure vend ou donne du cannabis à une personne mineure, elle risque une peine allant jusqu’à 14 ans d’incarcération (peine réservée aux crimes violents et aux viols). Quant à la conduite sous influence, elle passe de 1000 dollars d’amende à la déchéance définitive du permis de conduire, bien qu’il n’y ait pas de corrélation établie entre le taux détectable de THC résiduel et l’inaptitude à conduire.
Les licences sont très chères ; en conséquence, seules les grandes entreprises peuvent les obtenir, tandis que les clubs et petites entreprises locales se voient obligés de mettre la clé sous la porte. Beaucoup de dispensaires de cannabis médical sont également contraints de fermer ; ils s’adressent pourtant à un public qui est dans une démarche thérapeutique et en attente de services et de conseils que le circuit commercial semble peu apte à leur fournir. Enfin, l’insuffisance de l’offre, ainsi que la politique de prix, ne permettent pas d’éradiquer le marché noir, tout comme le fait que certaines provinces aient fait le choix de repousser l’âge légal d’accès au cannabis de 18 à 21 ans.
Le modèle canadien se situe entre la prudence, voire la rigidité, du modèle uruguayen et l’approche libérale à l’américaine. Il est le reflet d’une approche qui tente de concilier intérêts sanitaires et intérêts économiques. La mise en place d’une réglementation transparente est un immense pas en avant, mais la sévérité d’application de cette nouvelle loi constitue peut-être un frein aux objectifs de santé publique. Une question reste en suspens : celle de la place réservée aux victimes de l’ancienne prohibition dans ce nouveau marché. Sans doute importe-t-il dès lors de rester attentif à la manière dont cette politique va s’adapter aux réalités d’ici les prochaines années.
1a Guillain C., Scalia D. (2020)
1 Alvarez Garcia et Majón-Cabeza (2009)
2 Au-delà de ces quantités, les individus peuvent éventuellement être poursuivis pour trafic.
3 EMCDDA (2019)
4 Hogge (2015) ; Eurotox distingue les prévalences de consommation pour les 15-64 ans et pour les 15-34 ans.
5 https://www.bop.gov/about/statistics/statistics_inmate_offenses.jsp, consulté le 21/09/2020
6 https://ucr.fbi.gov/crime-in-the-u.s/2018/crime-in-the-u.s.-2018/topic-pages/persons-arrested, consulté le 21/09/2020. Les derniers chiffres actuellement disponibles portent sur 2018.
7 Philibert et Zobel (2019)
8 NORML France (2018)