Retirer le revenu d’intégration sociale à des personnes déjà précaires c’est les plonger dans la misère.
Sébastien ALEXANDRE, directeur de la FEDITO BXL asbl, a publié ce mercredi 23 décembre 2015 une carte blanche dans La Libre Belgique.
Il revient sur la proposition de la N-VA de supprimer le revenu d’intégration sociale aux personnes alcooliques ou toxico-dépendantes qui « refuseraient un traitement » et démontre en quoi cette proposition est « coûteuse, inefficace, et pas même intelligente »…
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Supprimer le revenu d’intégration sociale aux personnes dépendantes à l’alcool ou aux drogues ne suivant pas de traitement : telle est la « bonne idée », proposée par Valérie Van Peel, députée N-VA et présidente du CPAS de Kapellen. On plaint les Kapellenaars précaires…
Concrètement, il s’agirait d’activer un « Projet individualisé d’intégration sociale », déjà en cours pour les moins de 25 ans : en cas de refus, l’individu verrait son revenu d’intégration sociale coupé, purement et simplement. Cela rentre-t-il dans le cadre des politiques sociales intelligentes ? Il y a comme un doute…
Car si l’objectif est une meilleure adhésion au traitement, c’est râpé : Dirk Vandevelde, Président du Vlaamse Vereniging van Behandelingcentra Verslaafdenzorg (VVBV), s’est même étonné de voir à quel point la dépendance est encore mal comprise. Processus long par excellence, la motivation au traitement ne se travaille pas du jour au lendemain, mais avec de la patience. Elle ne se décide pas : elle oscille entre espoirs et déconvenues, entre volonté et abattement… Entre traitements et rechutes. Il est fréquent – c’est quasiment la règle – que des usagers de drogues reprennent leurs distances à l’égard des institutions spécialisées. Les professionnels ne le savent que trop bien : « le bâton derrière la porte » de Valérie Van Peel n’y fera rien.
Ils le savent, car le secteur spécialisé expérimente déjà au quotidien l’injonction thérapeutique, pour les personnes en prise avec la justice. En soi, la réorientation vers le secteur de l’aide et du soin est une idée porteuse, la criminalisation de l’usager de drogues illégales n’ayant jamais démontré un quelconque avantage positif. Par contre, le fait de soumettre la personne dépendante à une obligation reste problématique, puisqu’elle ignore complètement la réalité des processus de dépendance. Etendre l’injonction thérapeutique, du juridique au social, serait ignorer les principes de base de ce qui reste du traitement.
De la précarité à la misère
Et puis, quelles seraient les conséquences pour les personnes qui verraient leur revenu d’intégration sociale supprimé et qui tomberaient – s’ils n’y sont déjà – dans la grande précarité, voire à la rue ? On vous le donne en mille : plus de drogues, plus d’alcool, plus de complications physiques et mentales, plus de désaffiliation, plus de difficultés à réinsérer la personne. Pas besoin d’être grand clerc pour connaître les conséquences d’une vie sans-abri. Les réactions du centre spécialisé anversois Free Clinic, de divers présidents de CPAS et de l’Association flamande des villes et communes sont allées dans le même sens : retirer le revenu d’intégration sociale à des personnes déjà précaires, c’est les plonger dans la misère, et dans les problématiques connexes à cette misère. Objectif atteint, Mme Van Peel ? Oui, s’il s’agissait de proposer une idée choc… Non, s’il s’agissait de proposer une idée efficace…
Des économies, vraiment ?
Mais alors, se dit-on, l’objectif doit être ailleurs ! L’intérêt serait-il économique ? Car à court terme, c’est vrai : l’exclusion du revenu d’intégration sociale entraînerait des économies. Mais qu’en sera-t-il un peu plus tard ? Quel est le quotidien des personnes vivant dans la misère, voire à la rue ? On vous l’expose, rapidement : séjours en centres d’accueil, abris de nuit et maisons d’accueil, mais aussi hospitalisations et passages récurrents aux urgences, pour toutes les problématiques physiques et mentales que le sans-abrisme amène inexorablement. C’est prouvé : une personne vivant à la rue coûte plus cher à la société que si elle dispose d’un logement et de diverses allocations.
Et, paradoxe ultime, les économies bénéficieraient aux communes ayant à charge les CPAS, au détriment du fédéral ayant à charge les hôpitaux et des régions ayant à charge l’aide au sans-abrisme. On voit mal l’intérêt pour un parti inscrit dans les coalitions fédérale et flamande.
Bref, l’idée de Valérie Van Peel est coûteuse, inefficace, et ne recouvre aucune intelligence. Ce pour quoi ses partenaires et opposants politiques devraient s’en distancier.
D’autres voies existent
Ils en auront l’occasion, dans les semaines et les mois qui viennent… Deux propositions de lois sont à l’étude à la commission de la santé publique de la Chambre : nos représentants seraient bien inspirés d’en permettre les mises en place…
Il y a tout d’abord « le traitement assisté à la diacétylmorphine », permettant d’élargir la pharmacopée de substitution aux usagers d’héroïne les plus précarisés et n’ayant pu « s’accrocher » à un traitement à la méthadone ou à la buprénorphine. Plutôt que de consommer de l’héroïne de rue, plutôt que d’être en proie à la grande précarité, l’usager pourrait consommer un produit pharmaceutique, sous la supervision et avec l’accompagnement de professionnels socio-sanitaires.
L’idée n’a rien de révolutionnaire : elle est déjà appliquée dans une petite dizaine de pays, dont les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne et le Canada; elle a déjà fait l’objet d’un projet pilote à Liège; elle pourrait facilement être intégrée au sein des structures de soin existantes, pour un coût réduit.
Il y a aussi les « salles de consommation à moindre risque », permettant de réduire les consommations de drogues dans l’espace public et de renforcer l’accompagnement psycho-médico-social des consommateurs. Là aussi, les effets sont bénéfiques, pour un coût mineur : réduction de la mortalité et de la morbidité des usagers de drogues, réaffiliation sociale, réduction des « nuisances publiques »,… Les pays limitrophes de la Belgique, les quatre, ne s’y sont pas trompés : les Pays-Bas et l’Allemagne disposent de ce dispositif depuis une génération, suivant l’exemple suisse; le Luxembourg s’apprête à ouvrir sa seconde salle de consommation à moindre risque; et la France en expérimente trois. La Belgique pourrait-elle encore s’en passer ? D’autres salles sont ouvertes en Australie, au Canada, en Espagne ou encore en Norvège. La commission santé publique pourrait-elle rendre un avis négatif ?
On pourrait encore parler du Housing First, du testing, des accompagnateurs psycho-sociaux, des centres multi-agréments,… On pourrait parler de beaucoup d’autres idées, intelligentes, efficaces et au coût réduit; elles ne manquent pas.
Mais qu’en est-il de la clairvoyance politique ?