Le juge d’instruction Michel Claise a dévoilé la retentissante affaire de corruption du Qatargate. Il parle [à Moustique], en spécialiste ultra-informé, de l’influence croissante qu’exercent les organisations criminelles sur la Belgique, où une enfant vient d’être assassinée par des barons de la drogue.
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Pourquoi notre pays est-il si exposé?
(…) Les activités de ces organisations criminelles sont en augmentation pour deux raisons. D’abord, elles disposent de tous les moyens technologiques de développement de leurs affaires. Ensuite, cette année on a saisi 100 tonnes de cocaïne, soit une valeur de 15 milliards d’euros. On estime que ces saisies représentent 10 à 12 % du trafic. Soit 150 milliards. C’est 70 fois plus que le budget de toutes les polices du royaume. Et ce n’est qu’une année! Comment voulez-vous que ces gens n’aient pas envie d’aller plus loin et n’aient pas un sentiment d’impunité? Jusqu’à abattre des enfants… Que voulez-vous qu’il leur arrive? L’impéritie du système policier et du système judiciaire fait que nous nous trouvons dans une situation qui en arrive au point d’irréversibilité. (…) Ces “investissements” [des narcotrafiquants] ont prospéré et n’ont cessé d’être nourris chaque année de plusieurs milliards supplémentaires. Ce gigantesque trésor de guerre leur a permis de développer entre autres des moyens techniques extraordinaires et d’autres activités illégales basées sur ces technologies – la cybercriminalité qui est en train de nous bouffer et nous échappe totalement… Nous sommes dans un tourbillon infernal. Et le pire, c’est qu’il n’y a pas de volonté politique de prendre en compte le phénomène.
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Pour plus de 13 milliards d’euros de cocaïne saisie en 2021, 15 en 2022, est-ce qu’une solution ne serait pas de légaliser la drogue? Au moins l’État engrangerait de quoi financer l’embauche d’enquêteurs supplémentaires…
Pour le cannabis, c’est une évidence. Pour la cocaïne et l’héroïne, on sait très bien que le drame de ces drogues c’est qu’elles sont coupées avec d’autres substances. Quant à leur légalisation, j’envisagerais, à tout le moins, une réflexion en ce sens. À la condition que, comme pour le cannabis, ce soit un commerce dirigé par l’État. Un commerce étatique pourvu d’une assistance médicale, sociale et psychologique à destination des consommateurs. Et que toute vente en dehors de ce commerce désormais régulé soit encore plus punie. Les États qui ont légalisé la drogue se retrouvent en effet avec des montants qu’ils peuvent réinjecter dans leur structure.
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Qu’est-ce que la Belgique doit faire de toute urgence?
Outre la quantification dont on a parlé, il faut revitaliser les forces policières, judiciaires et administratives (SPF Finances), créer un secrétariat d’État à la Lutte contre la criminalité financière, créer un Parquet national financier indépendant (pas de lien avec les procureurs généraux ni avec l’exécutif), créer une agence belge anticorruption, avancer sur l’avant-projet de loi de juillet dernier protégeant les lanceurs d’alerte… Autant d’éléments qu’il faut réaliser tout de suite.
Lire l’article / source : Michel Claise, le juge derrière le Qatargate : «Je n’ai pas envie de dire que les hommes politique seraient par nature corrompus, quoique…» (Moustique, 20/01/2023)