Prologue
Les mesures de ce plan sont proposées dans un contexte très particulier qui met à mal la capacité d’action de nombreuses institutions. En effet, la crise COVID-19 et ses conséquences directes et indirectes ont bouleversé de nombreux aspects de la vie des citoyens. Les conditions changeantes, ainsi que les difficultés en matière de santé mentale qui en découlent (ennui, dépression, anxiété, etc.), ont eu un impact considérable sur certaines habitudes en matière de consommation de substances psychoactives (alcool, tabac, drogues illégales) et/ou certains comportements pouvant devenir compulsifs (jeux d’argent, jeux vidéo, réseaux sociaux, etc.). Toutes ces conséquences de la crise se font évidemment durement ressentir sur l’activité des organisations qui interviennent dans ce domaine, et qui subissent une pression parfois sans précédent.
Plus concrètement, une enquête d’Eurotox et de la Fedito Bxl (1) auprès des services actifs en matière d’assuétudes a constaté d’une part une aggravation de la précarité et/ou de la vulnérabilité des bénéficiaires : près de 9 services sur 10 notent une poussée de l’isolement social, et 8 sur 10 une dégradation de la santé mentale de leurs bénéficiaires. On assiste également à une augmentation des problématiques de consommation chez les bénéficiaires : en premier lieu pour l’alcool (dans 7 services sur 10), mais également pour la cocaïne, les tranquillisants et le cannabis. Enfin, on constate une complexification des situations rencontrées, une augmentation des violences intrafamiliales et plus généralement une intensification des problèmes de santé mentale. D’autre part, les organisations ont souvent dû modifier leurs offres de services (moins de présentiel, notamment) tout en faisant preuve d’ingéniosité et de flexibilité afin de continuer à toucher et accompagner leurs bénéficiaires de manière efficace. Ces évolutions ont des conséquences importantes tant sur les bénéficiaires que sur les travailleurs des services concernés.
Face à l’explosion des demandes d’aide (1 service sur 2 note une forte augmentation des nouvelles demandes), plusieurs services ont dû, pour la première fois de leur existence, ouvrir des listes d’attente. On constate notamment une augmentation des demandes d’aide de la part d’une population jeune (étudiants au début de la vingtaine). Certains services se voient contraints de sélectionner les bénéficiaires pour ne s’occuper que des cas les plus aigus et des personnes les plus isolées. Les autres sont réorientées lorsque c’est possible, ou placées en liste d’attente. De nombreuses demandes de prises en charge émanent de l’entourage d’usagers de drogues ou de professionnels confrontés à des situations de consommations problématiques telles qu’ils ne peuvent plus y faire face. Ils témoignent de situations où l’usager est dans une situation de désaffiliation du lien social ou est en passe d’y basculer. Dès lors est apparue la nécessité, dans l’un des services, de créer une équipe Outreach spécialisée assuétudes qui ait la possibilité de se rendre sur les lieux de vie de l’usager pour éviter cette désaffiliation ou opérer vers une réaffiliation au lien social. Un support aux intervenants de l’aide sociale ou du soin confrontés à des situations complexes de consommation est également apparu nécessaire. Notons également l’augmentation de situations aiguës ou urgentes (risques de passage à l’acte auto ou hétéro-agressifs) alors que les services sont saturés de demandes, ce qui représente une pression importante sur les travailleurs.
L’enquête Eurotox/Fedito Bxl a révélé une augmentation des burnouts (dans près de 7 services sur 10) et de l’absentéisme (8 services sur 10) chez les travailleurs des services concernés. Les perturbations pratiques et logistiques sont nombreuses : bureaux réaménagés pour respecter les mesures sanitaires, désinfection parfois très contraignante vu le contexte de travail, postposition ou annulation de toute une série d’interventions, réorganisation permanente de certains dispositifs en fonction des nouvelles mesures, etc. Dans un centre d’accompagnement psychologique, le bureau de la coordination a dû être réquisitionné pour faire face à la demande accrue de consultations psychologiques. Tous ces bouleversements occasionnent un stress accru au sein de certaines équipes. De plus, on imagine aisément qu’il n’est pas facile de constater une aggravation qualitative et quantitative des besoins d’aide et de ne pas pouvoir entièrement y faire face, tout en travaillant constamment sous pression. Certaines personnes disent se sentir à la fois aidantes et en besoin d’aide. Face à une telle situation, de nombreuses personnes ressentent un découragement et une perte de sens.
Globalement, on peut donc dire que face à une situation inédite, dont on ne connaît pas encore la durée, mais dont les conséquences vont à coup sûr s’étaler sur plusieurs années, le secteur est en manque de moyens structurel et tire la sonnette d’alarme. Malgré des signaux similaires envoyés depuis plusieurs mois, des moyens supplémentaires suffisants se font attendre. Lorsque les conditions se détériorent, on constate, comme lors de la pandémie actuelle, une aggravation des situations en fonction de la réduction des possibilités de prévention. Plus cette aggravation perdure, plus ses conséquences seront durables dans le temps. Il est par conséquent urgent de prendre la mesure de cette situation difficile et d’y apporter une réponse durable et structurelle, notamment sous forme d’une augmentation des effectifs de certains services. Sans réaction rapide et significative, on risque d’assister à une cascade de détériorations de la qualité des services, dont les conséquences seront plus difficiles et plus chères à rattraper à mesure que les solutions tardent à être mises en place. Il en va du bien-être des citoyen·ne·s les plus vulnérables, mais aussi de celui des personnes dont le métier est de les accompagner.
(1) L’analyse des résultats de cette enquête ont été publiés dans le tableau de bord 2020 d’Eurotox asbl et dans le focus thématique sur les conséquences de l’épidémie de covid-19 sur l’usage de drogues et les usager·es (Clémentine Stévenot et Michaël Hogge, 2020), disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://eurotox.org/2021/04/14/tableaux-de-bord-2020-de-lusage-de-drogues-et-ses-consequences-socio-sanitaires