Carte blanche – Comment réduire le coût des drogues

La Politique scientifique fédérale (BELSPO) vient de rendre publique une étude menée par des chercheurs de l’Université de Gand et de la VUB sur le « Coût social des drogues licites et illicites en Belgique » (SOCOST). En commentaire à celle-ci, la FEDITO BXL asbl a publié une carte blanche dans les pages de la Libre Belgique de ce jeudi  28 avril 2016 : « Comment réduire le coût des drogues »

La Politique scientifique fédérale publie la première étude* sur le coût social lié à la consommation d’alcool, de tabac, de médicaments psychoactifs et de drogues illégales en Belgique. La conclusion est limpide ! 4,6 milliards d’euros : c’est le montant annuel des coûts directs et indirects liés à l’usage de substances addictives. 4,6 milliards d’euros… Cela équivaut à 1,19 % de notre PIB. Ou à 419 euros/habitant. Et c’est sans compter les 515 000 années de bonne santé perdues. L’alcool à lui seul coûte à la société 2,1 milliards d’euros annuellement; le tabac, 1,5 milliard d’euros; les médicaments psychoactifs, 215 millions; et les drogues illégales, 726 millions. 91 % des 515 000 années de vie en bonne santé perdues, le sont à cause de l’alcool et du tabac.

Le coût paraît exorbitant, surtout pour ce qui est des drogues légales. Mais les dommages sont aussi importants pour les drogues illégales, puisqu’elles induisent des trafics internationaux et leurs corollaires : narco-Etats, financement d’associations mafieuses (en ce compris Daesh), alimentation des paradis fiscaux.

Légales ou illégales, les drogues coûtent cher. Et les opérateurs de la santé, qu’ils soient généralistes ou spécialisés, développent d’incessants efforts pour permettre, de manière concomitante, amélioration des soins, amélioration de la santé publique et économie des dépenses. C’est le triple objectif des projets pilotes de soins intégrés pour malades chroniques; le secteur spécialisé bruxellois les soutient fortement. Plus généralement, c’est le triple objectif des articulations entre tous les opérateurs concernés par les problématiques liées aux drogues, dans le monde médical, du social ou de la santé mentale; dans l’ambulatoire, l’hospitalier et le résidentiel; entre les différentes lignes de soins.

Halte aux solutions faciles

C’est une réponse beaucoup plus complexe que la solution facile de l’interdit. Car la réalité est là, la prohibition des drogues n’a jamais assuré un « drug free world ». Que du contraire ! En 2015, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies a dénombré plus de 100 nouvelles drogues, alors que nous n’en découvrions que 2 par an il y a une vingtaine d’années. On leur donne un nom, « Legal Highs », et ce parce que les Etats ne peuvent les interdire qu’après de longs processus législatifs. Dans l’intervalle, elles sont légales, disponibles sur Internet et livrées par la poste. Et quand ces substances sont finalement interdites, elles sont déjà remplacées par d’autres.

L’interdit légal des drogues ne peut plus constituer le schème structurant les politiques drogues. C’est l’essence du débat tenu la semaine dernière, lors d’une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies, fondant une nouvelle approche sur la recherche, les données et les preuves scientifiques. Si les résultats sont mitigés, le débat n’est pas clos et un nouveau rendez-vous est déjà pris pour 2019.

La morale ne peut pas plus constituer le schème structurant les politiques drogues. Car c’est notamment pour des questions morales, que la réduction des risques liés à l’usage de drogues reste précaire. C’est notamment pour des questions morales, que l’injecteur de drogues, bien décidé à s’en injecter, est encore parfois amené à réutiliser ou partager des seringues usagées, au risque d’infections diverses, certaines de ces infections pouvant à leur tour être propagées dans la population générale. C’est notamment pour des questions morales, que le clubbeur amateur d’ecstasy, bien décidé à gober une pilule, la gobera, souvent sans avoir pu la faire analyser anonymement. C’est notamment pour des questions morales que le fumeur de cannabis, bien décidé à fumer son joint, le fumera, sans avoir pu prendre connaissance du taux de produits psychoactifs.

L’interdit ne peut plus être le schème structurant les politiques drogues. La morale non plus. L’économique, pas davantage : les augmentations des accises sur le tabac, le plus souvent mineures et à l’occasion de réajustements budgétaires, n’ont qu’un effet restreint sur les fumeurs. En vérité, on le sait, seules des augmentations majeures des prix auraient un réel impact.

Centré sur la santé publique

Alors, pourquoi ne pas centrer ces politiques sur la santé publique ? Concrètement, structuraliser la réduction des risques et légaliser les dispositifs légitimes tels que testing de pilules et salles de consommation à moindre risque; refinancer la prévention qui plafonne à 0,5 % des dépenses publiques; consolider les diverses formes de traitement, notamment en élargissant la pharmacopée à la diacétylmorphine; interdire la publicité de l’alcool; repenser le cadre prévalant pour le cannabis; etc.

Serait-il naïf de croire en une politique drogues pleinement fondée sur la santé publique ?

Etayons l’exemple du cannabis : malgré l’illégalité, malgré la morale, un jeune adulte sur trois en a déjà consommé. La France est un des pays européens les plus stricts à l’égard du cannabis; elle n’en reste pas moins un des plus gros consommateurs. La prévalence est aussi grande ailleurs, à tel point que l’Uruguay, le Colorado, la Californie, l’Etat de Washington, l’Alaska, développent diverses formes de légalisation, les unes allant vers davantage de libéralisation tandis que d’autres se fondent sur un contrôle étatique fort. Mais toutes ont un point commun : elles visent à concilier légalité, santé publique, morale, économie. Elles permettent au consommateur de rester dans la légalité; elles permettent à l’Etat de contrôler la production, la vente et la consommation, pour une diminution de la criminalité et une amélioration de la santé publique; elles permettent de réduire les problématiques induites par ces consommations et d’accroître leur acceptation sociale; elles permettent une activité économique, foisonnante au Colorado, et permettant le financement conséquent de la prévention et du traitement.

Ce que ces développements nous démontrent, c’est qu’il est possible de trouver des réponses au coût social lié aux drogues. Si les alternatives doivent être pensées dans un cadre de santé publique, cela n’exclut toutefois pas de les penser aussi dans un cadre légal, moral et économique. Ce n’est pas autrement que le coût de la drogue pourra être diminué. Ce n’est qu’ainsi, que le coût de la drogue pourra être drastiquement réduit.

Sébastien ALEXANDRE, Directeur de la FEDITO BXL asbl, Fédération bruxelloise des Institutions pour Toxicomanes

*Etude SOCOST. L’auteur de ce texte a pris part au comité scientifique.

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